C’est attablée dans une petite pâtisserie du centre de Rennes, la pâtisserie 16h30, que je rencontre Tanguy Lesné, grossiste d’épices, entre une tournée en Inde, pour la cueillette du poivre, et un prochain voyage à Bali. Celui-ci m’a donné rendez-vous dans un lieu qui n’est pas tout à fait anodin. La pâtisserie écoresponsable, tenue par Marion Juhel, fait en effet partie de ses clients réguliers, à qui il fournit vanille, cardamome, cannelle et autres trésors exotiques que Marion sublime dans ses créations sucrées. C’est autour des boîtes en bois sculptées qui servent à conserver les épices, déposées sur la table par Tanguy, que la discussion s'engage.
Lors ses voyages réguliers en Inde que Tanguy, aujourd’hui basé dans la capitale bretonne, est amené à rencontrer des producteurs d’épices avec qui il noue des liens forts. Ceux-ci luttent au quotidien pour développer leur activité, qui est à l’époque encore mal connue du grand public. Celui-ci décide alors d’arrêter son affaire basée autour du vêtement pour créer son association. Epiceart fait aujourd'hui et depuis un peu plus de trois ans l’intermédiaire entre les producteurs d’épices et des clients professionnels (chefs, pâtissiers, chocolatiers, quelques industriels dont une brasserie).
Au lancement de son activité, Tanguy aide d’abord les producteurs à se structurer administrativement et techniquement, souvent de A à Z, en finançant du matériel, des licences d’export, en les guidant pour qu’ils obtiennent des certifications (Ecocert par exemple, en certification bio), et en les conseillant sur la composition de leurs produits. Tanguy se souvient de sa rencontre déterminante - peut-être celle qui l’a fait tout lâcher pour se tourner vers le commerce d’épices - avec un producteur de poivre du Kerala, région située sur la côte indienne tropicale. Celui-ci mélange ses 6 variétés de poivres, ce qui fait perdre au massala (massala signifie mélange d'épices dans les cultures d’Asie du Sud) toute sa subtilité. Tanguy l’épaule aujourd’hui pour affiner et sublimer petit à petit chaque variété cultivée, vendue ensuite isolément. C’est un travail de longue haleine, parfois certains producteurs rechignent à s’adapter à son cahier des charges, mais le plaisir de voir un produit encore plus abouti, vendu plus cher, prend finalement souvent le dessus.
Tanguy met un point d’honneur à assurer la qualité et la traçabilité des épices qu’il rapporte en France dans son atelier basé en périphérie de Rennes. Il est ainsi aujourd’hui capable de fournir des informations essentielles, comme le lieu et la date de la récolte, le nom du producteur. Il se fournit en direct auprès des producteurs, en Inde, bien sûr, mais également en Indonésie, au Cambodge, à Zanzibar. Les épices, avant d’être acheminées par bateau (conteneur tempéré) ou par avion (pour la vanille qui a besoin d’une fraîcheur maximale pour conserver ses arômes), sont analysées par des laboratoires, dans chaque pays d’origine. A leur arrivée en France, Tanguy les fait de nouveau analyser, notamment sur le critère de l’humidité, paramètre crucial qui fera toute la différence.
Travailler en direct auprès des producteurs permet également à Tanguy d’avoir un impact fort sur les conditions de travail et de vie des producteurs et de leur famille en leur garantissant un prix d’achat équitable. Il ne se contente pas d’acheter aux producteurs les épices au coût de revient. Il achète la matière première “au prix juste” - c’est-à-dire le double du prix marché - et en leur reversant ensuite 10% de ses bénéfices. Tanguy contourne ainsi le schéma traditionnel d’import-export des épices dans lequel les nombreux intermédiaires (une douzaine environ dans le secteur) prélèvent des “commissions” bien souvent très lourdes.
Rapidement, une autre des priorités de Tanguy, en se lançant dans une activité de revente d’épices, est de favoriser un environnement éthique socialement. Exit le travail des enfants. A titre d’exemple, il ne collabore donc pas avec les producteurs de vanille à Madagascar - État qui produit aujourd’hui 60% de cette orchidée de choix exportée dans le monde - car la plupart des exploitants locaux font appel à des enfants au sein de leur exploitation (une étude menée depuis 2009 par l’Organisation internationale du Travail a montré qu’environ 20 000 enfants et adolescents travaillent actuellement dans ces exploitations de vanille). Actuellement, Tanguy s’approvisionne en vanille auprès de deux producteurs localisés à Bali, qui font pousser la gousse depuis plus de 4 générations. Tanguy ne désespère cependant pas de pouvoir un jour, très prochainement, ouvrir une filière éthique de la vanille à Madagascar, en collaborant avec l’un de ses amis, implanté sur l’île, qui oeuvre activement pour faire reculer au-delà de 16 ans l’âge minimal des ouvriers agricoles sur ses exploitations.
Cette démarche engagée permet aujourd’hui à Tanguy de pouvoir compter sur des clients réguliers et fidèles, qui lui font toute confiance sur la qualité, la traçabilité ainsi que les conditions de fabrication des épices qu’il rapporte et qu’il propose de mélanger et de personnaliser en fonction de leurs besoins, de leur carte.
Pour déguster les épices dénichées par Tanguy, plusieurs options (liste non-exhaustive):
- les pâtisseries de Marion, à la pâtisserie 16h30 (Rennes)
- la bière au poivre de Timut, de la brasserie de la Bizhhh (Le Rheu):
- les petits plats de Romain Joly, au restaurant Origines (Rennes)
- mais aussi ceux du Bouchon Breton (Dinard)
photos © : Ventre Archives
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