Antoine est fromager à Nouvoitou, une petite bourgade située à vingt minutes au sud-est de Rennes, en Bretagne. Il fait partie de ces personnes à qui le travail ne fait pas peur et qui ont envie de faire les choses bien, tant pour les gens avec qui ils collaborent qu’avec la matière qu’ils transforment. Je l’ai rencontré à sa fromagerie. En trois heures de discussion, j’ai pu découvrir un personnage haut en couleurs, généreux et franc, qui réalise un travail… de dingue. Il n’y a pas d’autre mot pour détailler ce que cet autodidacte passionné est en train d’accomplir dans sa fromagerie, avec sa compagne à ses côtés. Parce que son travail, c'est avec émotion et spontanéité qu'il le réalise, au quotidien. Il n'y a qu'à goûter ses créations maison, vous comprendrez.
Crédit photos © : Ventre Archives
Lorsque je le rejoins dans sa fromagerie, c’est autour d’un café chaud que nous commençons à discuter, de son parcours, de son histoire, sur ses débuts en tant que fromager. Ce dernier m’a beaucoup donné, en acceptant de revenir sur des passages plus ou moins compliqués et intenses de sa vie.
Après l’obtention d’un BEP menuiserie, c’est à Montpellier qu’Antoine s’expatrie, guitare sous le bras. Mais la vie de bohème ne lui plaisant qu’à moitié, il revient en Bretagne passer son permis de chauffeur de poids lourds. Sur la route pendant deux ans et demi, Antoine souffre du manque de stabilité. “J’avais envie de faire comme les copains, pouvoir me poser, éventuellement acheter une maison. Alors c’était il y a plus de dix ans, ce n’est toujours pas arrivé mais je suis heureux quand même !” me dit-il en rigolant. “Après ça, je suis devenu chauffeur de bus à la STAR [société de transports rennaise]. Et puis en fait, cela ne l’a pas fait du tout. Ce n’est pas ce genre de stabilité que je recherchais, finalement. Même si j’ai contribué à faire évoluer le poste, je ne me voyais pas du tout y rester. Après un incident un peu malheureux dans un bus, la goutte de trop, j’ai quitté mon job, et ai été mis huit mois en arrêt maladie. J’ai mis à profit ces mois de pause pour acheter des chèvres, faire mon jardin à Nouvoitou. J’ai décidé de vivre plus ou moins en autonomie. J’ai rencontré des agriculteurs du coin. Mon premier projet était de fabriquer des produits à partir de lait de chèvre et de les vendre sur les marchés. Le problème, c’est que la vie en autonomie, c’est quand même un peu utopique. Seul, en tout cas, c’est dur”.
C’est alors qu’Antoine se décide à passer un Brevet Professionnel Responsable d'Exploitation Agricole (BPREA), qu’il obtient ce qui lui permet d’obtenir des aides à l’installation. “Pour me lancer dans un projet agricole, il me fallait 250 000 euros de prêt, dont 50 000 euros d’apport personnel, chose que je n’avais pas. Il fallait acheter une ferme. C’était un projet ambitieux. Je suis assez content de ne pas être allé jusqu’au bout de la démarche je crois”. Le frère d’Antoine lui souffle alors l’idée de se concentrer simplement sur la transformation, d’être artisan fromager. “Cela n’existe pas trop aujourd’hui, ce sont souvent des grosses boîtes qui collectent le lait et sont un peu éloignées du processus artisanal de transformation que moi je veux valoriser. Et puis j’ai peur de m’ennuyer, je veux être avec les chèvres” lui répond Antoine. “Au final, aujourd’hui, je ne m'ennuie jamais !” m’explique-t-il.
Avant de se lancer à son compte, Antoine est ouvrier agricole, dans plusieurs fermes, pendant cinq années pendant lesquelles il apprend à connaître l’animal et le lait. “La matière première, je la connais bien”. A côté, il crée ses fromages avec le lait de ses propres chèvres, chez lui, dans son évier. “J’ai eu jusqu’à 12 chèvres chez moi, je faisais la traite à la main, ce qui me permettait de créer des petits crottins. Et j’ai finalement dépassé le stade d’autonomie alimentaire. J’ai commencé à produire plus que ce que je pouvais consommer seul, je pouvais vendre cette surproduction”. Petit à petit, sa production dépasse ses capacités de vente. “J’avais deux hectares et demi de terrain pour les chèvres. Mais je vivais en coloc dans une petite maison de 28 mètres carrés à la campagne, il y avait des fromages partout, les meubles de la cuisine abritaient des tomes, le buffet était devenu une cave d’affinage, mon frigo était rempli de crottins, c’était du grand n’importe quoi. Il fallait changer ça. J’ai donc sollicité l’aide de la mairie de Nouvoitou pour obtenir un local”. Et, le hasard fait bien les choses, c’est finalement dans les locaux de l’école publique qu’il fréquentait étant petit qu’on lui octroie le droit de s’installer, en juillet 2019, pour une durée de cinq ans.
Aujourd’hui, à côté de la production et de la vente de fromages dits “maison”, Antoine et Vanessa s’occupent aussi d’une partie achat-revente de fromages de confrères, en complément de gamme, comme la tome d’estives du pays basque. Aujourd’hui, 70% de l’activité de la fromagerie dépend de la vente sur les marchés, m’explique-t-il. Pour les 30% restants, ce sont des commandes d’entreprises.
Épaulé par sa compagne Vanessa, et quelques stagiaires de passage, Antoine est maintenant parti sur une bonne lancée. Ses journées commencent tôt le matin, il part chercher quasiment chaque matin le lait de chèvre, de brebis et de vache, auprès de trois différentes fermes productrices environnantes.
La certification bio ? Antoine a décidé de s’en passer. Et c’est très bien comme ça. “J’ai d’abord choisi de bien valoriser le travail des agriculteurs avec lesquels je collabore. Je paye 100€ de plus au 1000 litres que ce que paye la laiterie. Pour le lait de brebis, cela ne fait pas de différence, car c’est un lait qui est déjà très cher, à 1,50€ le litre environ. En revanche pour le lait de vache, qui est à 33 centimes le litre, je paye à l’agriculteur 400€ la tonne au lieu de 300 environ, il est content. On bénéficie déjà d’une belle image de marque, on est pas encore impactés par les mouvements vegan, etc.. A l’échelle à laquelle je travaille, avec ce que je suis capable de mettre en avant, ma façon de travailler, bénéficier de la certification bio serait juste un surcoût pour moi, que je serais obligé d’impacter sur mes clients. A mon sens, ce ne serait pas justifié. Et puis je connais la qualité de la matière première avec laquelle je travaille, on a pas besoin de faire de la surenchère”.
Nous nous dirigeons vers le local, Antoine me fait revêtir un super tablier blanc étanche et des bottes de sept lieues. Parmi les tâches qui vont occuper Antoine ce matin : le salage des tomes de brebis qui ont été fabriquées la veille. Nous discutons pendant qu’il s’y attèle. Rapidement, la discussion aborde la nécessaire relation, étroite parfois, qui peut exister entre les producteurs qui collaborent au sein d’une même chaîne de fabrication, et la solidarité, l’entraide, le respect mutuel qui en découlent. “Quand je me suis lancé, cela me paraissait important de connaître les agriculteurs avec lesquels je bosse, leurs animaux, leurs contraintes, leur matière première. J’ai commencé à travailler avec un agriculteur, qui était à la base un ami à moi, il a été là dans les périodes difficiles de ma vie. C’est lui qui m’a véritablement poussé à me lancer, car c’est le premier à m’avoir fait confiance”.
C’est en allant à la rencontre de ses collaborateurs qu’Antoine a pu créer des liens forts, qui lui permettent aujourd’hui de parler de son travail et de ce qu’il produit avec passion. Et il faut le dire, c’est passionnant d’écouter Antoine parler de ses petits bijoux. Au fur et à mesure que nous déambulons dans les ateliers d’Antoine, celui-ci me les présente : tomes de vache au cidre (dont la croûte est mouillée au cidre chaque semaine pour ramener de l’amertume), tomes de vache nature, comté (répondant au doux nom de Névestel, qui veut dire Nouvoitou en gallo).
“Ici on fait des fromages lactiques, des pâtes molles croûtes fleuries comme le ‘Nouvoit’membert’ ”. Antoine me alors fait entrer dans la cave d’affinage des fromages lactiques et me tend le petit bébé fait maison, tout fier. “Je voulais faire un camembert maison. L’idée, à terme, c’est de le mettre dans une boîte en bois, et que ça ressemble vraiment à un camembert. Ceux-là ce sont des bouchées apéro que l’on saupoudre avec des épices”.
Antoine bosse à l’instinct, peut-être pas jusqu’à parler à l’oreille des fromages, mais pas loin. Pas de notes, pas de carnet de bord pour fixer des dates de fin d’affinage, non. Antoine sent, regarde, observe, touche, et prend ses décisions, au feeling.
“La seule mesure que je prends pour mes fromages, c’est la température du lait. J’essaie vraiment de ressentir la matière. Je mets très peu de ferments aromatiques dans mes préparations. J’avais vraiment envie de ça, d’avoir des fromages qui soient assez simples, finalement. On a tout un attirail d’outils en fromagerie pour donner le goût qu’on veut au fromage, mais moi je n’ai pas envie de m’amuser avec ça, je préfère faire la nature faire son travail”.
“Parfois on va chercher une fermentation lactique lente, en laissant le lait cailler entre 24 et 48h, avec beaucoup de ferments mais sans trop de présure, élément qui fait que le lait va coaguler. Ce qui donne un lait assez acide, comme tu peux le voir si tu goûtes le petit lait. Pour les tomes que l’on fabrique, le petit lait est plutôt doux, sucré”. Et comme pour joindre le geste à la parole, Antoine me tend un gobelet de petit lait tout frais.
Pour la suite, Antoine a plein d’idées, plein de projets qu’il garde au chaud, le temps que les perspectives s’éclaircissent, le temps de pouvoir se constituer une petite équipe de passionné.e.s qui, comme lui et sa compagne, ont envie de promouvoir une façon de faire du fromage qui soit respectueuse des animaux, des gens, du produit, et de celleux qui le consomment. De notre rencontre, je suis ressors revigorée, convaincue qu’avec un peu d’huile de coude et de volonté, on parvient forcément à accomplir tout ou partie de ses rêves, même si la route est parfois semée d’embûches. Forcément, j’ai hâte de voir toutes les envies d’Antoine prendre forme ! Et je sais qu’elles seront (très) gourmandes.
Vous pouvez retrouver les fromages d’Antoine et Vanessa ici :
- Jeudi : Nouvoitou 15h30-18h (horaire couvre feu sinon 19h)
- Vendredi : La garden partie, boulevard villebois mareuil, Rennes 15h30 18h (horaire couvre feu sinon 20h)
- Samedi matin : Vern-sur-seiche
- Dimanche matin : Noyal Chatillon-sur-seiche
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