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Aude, l'abeille comme héritage


A la fin de l’automne, lorsqu'arrivent les premiers frimas de l’hiver, les abeilles sont de retour dans leurs pénates. C’est à ce moment-là que l’apiculteur.trice débute un travail de remise en état des ruches et de son matériel, pour préparer l’arrivée du printemps. C’est le moment qu’on a choisi, avec mon amie Léa, pour aller rencontrer Aude Chupin pour qui, les abeilles, c’est une affaire de famille. Aude nous a ouvert les portes de son atelier situé à Rivedoux, sur l’île de Ré, où nous avons pu découvrir le travail d’arrière-saison, tout aussi important que celui de la récolte. Nous avons aussi pu ensemble discuter de ce que cela veut dire que de perpétuer un métier présent dans son arbre généalogique depuis plusieurs générations, en le faisant s’adapter aux contraintes du présent et d’un environnement changeant.


Crédit photos © : Ventre Archives



Lorsque nous pénétrons dans l’atelier, une agréable odeur sucrée nous accroche les narines. “Là, vous avez un mélange d’odeurs, de cire et de propolis. Quand on travaille le miel, au moment des récoltes, ça sent un peu plus”. Intriguées par cette femme qui semble avoir tracé seule son petit bout de chemin, nous entamons la discussion. “Je suis issue d’une famille d’apiculteurs. Mon père était apiculteur, et mon grand-père avait déjà des ruches. Je suis d’origine vendéenne et mayennaise. J’ai grandi dans la Vienne. On est venus ici, sur l’île de Ré, avec mon père, au début des années 80. C’était l’époque des grosses productions de miel de tournesol, qui nous faisaient un peu d’ombre. Mon père avait du mal à écouler son miel, il le vendait surtout en gros, mais à un prix qui ne l’intéressait pas. Il voulait faire les marchés de saison sur la côte vendéenne, mais toute sa famille y était déjà installée en apiculture et toute la côte était déjà prise. On est venus sur l’île de Ré d’abord en vacances, et c’est à cette occasion qu’il a commencé à faire les marchés sur l’île. Pour ma part, lorsque je me suis lancée à mon compte, j’ai hésité, et puis suis venue m’installer ici assez rapidement. Aujourd’hui j’ai des ruches à la limite de la Charente-Maritime, pour les miels de châtaignier, mais sinon tout est dans le département”.



Quand je lui demande où elle s’est formée, Aude me répond qu’elle s’est formée sur le tas, avec son père, en voyageant, en Australie et aux Etats-Unis où elle a découvert l’apiculture de masse, et en réalisant des stages d’installation dans le sud de la France. “L’apiculture c’est du feeling, en fait”, nous a-t-elle expliqué. Et nous le comprenons dans la manière qu’elle a eue de faire évoluer sa pratique de l’apiculture, en adaptant le positionnement de ses ruches. Aude a installé ses ruches sur des parcelles qui, pour la grande majorité, ne lui appartiennent pas, sur les terrains de particuliers. “Quand je vois une parcelle qui me plaît, j’essaie de contacter les propriétaires”. Aujourd’hui des ruches sont notamment installées sur les terrains d’agriculteurs avec qui elle partage une philosophie commune. “Il y a quelques années, j’ai fait par exemple une belle rencontre à Angoulins, avec un couple d’agriculteurs maraîchers en bio, propriétaires de la ferme D’hier et d’ici. Ils ont une mentalité que j’aime, ils sont certifiés en bio, ils aiment les animaux, la nature, ils ont l’amour du travail bien fait, ils produisent des légumes de très belle qualité”. Nous découvrons alors que certaines des ruchers d’Aude sont transhumants, pour respecter au mieux les besoins de rotation des cultures, principe cher à la permaculture: “J’ai une partie de mes ruchers qui sont fixes, mais sur le continent j’en ai aussi qui doivent être déplacés d’une récolte à une autre. Parfois, il y a une culture qui m’intéresse sur une parcelle, mais l’année d’après cette culture sera déplacée ailleurs. A moi de m’adapter. On travaille régulièrement avec plusieurs autres apiculteurs. Je dis ‘on’ car mon frère aussi s’est installé à son compte. Et la transhumance c’est quelque chose qu’on essaye de pratiquer ensemble, en famille, avec ceux qui ont le même état d’esprit, et au plus proche de chez nous. Avant on allait plus loin, on consommait pas mal de gazole, il faut le reconnaître. Maintenant, notre démarche a changé, on préfère se recentrer dans un périmètre plus resserré”. L’autre intérêt de la transhumance ? Éviter de positionner les abeilles trop près des cultures qui sont traitées aux pesticides.



Et travailler en famille, est-ce que cela veut dire partager absolument tout, travailler selon un rythme et des principes identiques ? Pas forcément. “Mon frère et moi, on n'a pas du tout la même sensibilité, on ne va pas travailler de la même manière. Cela ne veut pas dire que l’un est mieux que l’autre”. Mais cela ne les empêche pas d’organiser leur transhumance ensemble, par camion de 25 ruches chacun.



Aude nous raconte alors son installation dans son atelier qu’elle a fait construire en 2010. "Ça a changé ma vie professionnelle ! Avant, je travaillais à mon domicile, j’avais déjà une maison relativement grande avec un hangar plutôt grand, de 80 mètres carrés. Mais j’étais trop à l’étroit. En m’installant ici, je suis passée de 80 à 180 mètres carrés. Mon entreprise a pu se développer à partir de ce moment-là”.



Alors que nous discutons dans l’espace de stockage du matériel, où sont entreposées les ruches d’une jolie teinte bleutée, Aude nous explique ce en quoi consiste son travail, actuellement, alors que les abeilles ont commencé à hiverner. “Enlever les traitements de maladie pour les ruches qui en ont reçu, vérifier que les abeilles ont assez de nourriture, renforcer les fonds, remettre les ruches en état, ramasser le matériel vide des essaims qui n’ont pas pris. Après je passe à la partie peinture, ponçage, récupération de la propolis qui sert à faire la teinture mère de propolis, la pâte à bonbons, le savon” (produits qu’elle fait faire par des artisans sur le continents).



A partir de janvier-février, Aude effectuera des visites auprès de ses ruches, pour s’assurer que les abeilles vont bien, qu’elles ont assez à manger. C’est à partir de mars qu’elle entamera le déshivernage des abeilles. Il lui faudra alors ensuite commencer à changer les cadres des ruches, sélectionner les belles ruches dans lesquelles elle pourra lancer de nouveaux essaims.


Quand arrivera le mois d’avril, une fois les hausses posées, commenceront alors les premières récoltes de miel, de colza sur le continent, et de moutarde et ravenelle, ici sur l’île de Ré. “Ce sera un miel très blanc, relativement crémeux, pas mal à utiliser en cuisine, car il a un côté assez sucré”. La fin du printemps annoncera ensuite le dédoublement des essaims, la surveillance des élevages et des pontes par les reines abeilles. Aude sera aussi attentive à la présence de frelons asiatiques, qui mettent en péril l’existence des ruches. C’est en mai que sera récolté le fameux miel d’acacia. “Ici sur l’île de Ré, les ronciers fleurissent fin mai début juin. C’est important que nos hausses soient bien posées avant le début de cette période car les abeilles vont commencer à mieler. Et ce sera pendant l’été, aux alentours de mi-juillet que nous récolterons le miel de ronces de l’île”. L’élevage se termine au début de l’été. L’été est consacré aux récoltes. “J’ai entre 150 et 160 ruches en production chaque année, et entre 30 et 40 réservées à l'élevage”. Aude est aussi sur les marchés de l’île de Ré à partir de mi-juin, jusqu’à début octobre. C’est donc à cette période que ses journées de travail commenceront à s’allonger. L’arrivée de l’automne annoncera la préparation de l’hivernage, et ce sera reparti pour un tour.



A l’époque, Aude avait obtenu la certification bio. Elle nous explique pourquoi elle a voulu s'en détacher.


A l’époque, les zones de butinage n’étaient pas aussi strictes qu’elles le sont aujourd’hui. Mon père faisait partie de ceux qui avaient mis en place la certification bio. Je l’ai donc très rapidement obtenue, et l’ai conservée pendant 15 ans. Je l’ai arrêtée quasiment en arrivant sur l’île, pour une question de survie de mon entreprise. A l’époque, les traitements en bio utilisés pour tuer le varroa, acarien très dangereux pour l’abeille, n’étaient pas efficaces, notamment les années où il faisait trop chaud. Je saturais, j’ai cru que mon entreprise n’allait pas s’en remettre. Sortir de la certification m’a permis de traiter avec des produits non bio, mais après récolte donc sans impact sur la qualité du miel, et de venir à bout du varroa, enfin. C’est le meilleur choix que j’ai fait pour mon entreprise”.

Question de vie ou de mort, littéralement. Mais pour elle, cela ne change rien, à part ce traitement du varroa, tous les intrants qu’elle utilise sont bio, comme la peinture de ses ruches, ou les ingrédients qu’elle ajoute à ses produits transformés à base de miel. Et puis, l’île de Ré est réputée pour être particulièrement préservée des pesticides utilisés en agriculture intensive. Aude reste cependant alerte vis-à-vis des recherches menées du côté du label bio pour proposer des produits et traitements qui soient à la fois respectueux de l’environnement et efficaces.



Là-bas, c’est la pièce réfrigérée dans laquelle je réalise l’extraction du miel et la mise en pots et l’ensachage”. Nous nous dirigeons vers l’endroit où Aude donne vie à son miel. Notre visite se termine ensuite dans son espace de stockage des produits finis, où nous avons la chance de pouvoir goûter à plusieurs de ses miels, floraux, fruités, ou plus bruts et herbacés. Le préféré d’Aude ? Le miel de châtaigner, au goût très prononcé.


La suite ? Aude est plutôt sereine. “Pour l’instant je travaille pour moi, parce que j’aime m’occuper des abeilles, j’ai l’énergie pour le faire. Plus tard, je ne sais pas si mon fils souhaitera reprendre la main. Lui c’est plutôt la boulangerie qui l’intéresse. On verra bien si quelqu’un souhaite reprendre mon entreprise, je serais heureuse de transmettre mon savoir faire”. C’est tout ce qu’on pourrait lui souhaiter !






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