Farah a une définition bien à elle du slow living. Cet art de ralentir, de prendre le temps, d’être en pleine conscience. L’art de faire les choses simplement, en fait. S’approvisionner, cuisiner, manger, et partager, des verbes qui, selon elle, n’échappent pas à cette “règle”.
photo © : Farah Keram
Que fais-tu dans la vie ?
Je suis journaliste rattachée à la rédaction de « 28 Minutes », une émission diffusée sur Arte. Si je travaille pour un média qui traite essentiellement de culture et d’actualité, je suis avant tout passionnée par l’alimentation et le monde viti-vinicole.
J’aime arpenter ma ville, Paris, le plus souvent à la recherche de nouveaux commerces de bouche à découvrir. Je suis une convaincue du yoga, une grande amatrice de danse contemporaine et je passe vraiment beaucoup de temps chez moi où j’adore recevoir les copains.
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Comment décrirais-tu ton rapport au bien manger, au repas ? D’aussi loin que je me souvienne, le bien manger a toujours fait partie de ma vie. Mes deux parents ont immigré de l’Algérie vers la France mais lors de décennies différentes. Mon père, de par son histoire personnelle et son désir d’intégration, a maîtrisé très rapidement les codes de la cuisine française et a cuisiné toute sa vie essentiellement des mets franchouillards. Ma mère, elle, ne cuisine que des plats orientaux ou d’inspiration méditerranéenne. J’ai l’impression qu’elle a besoin de ce rituel quotidien auquel elle ne déroge jamais. Mais ce qui rapprochait leurs deux cuisines, c’est l’amour des bons produits. On a eu cette chance de toujours très bien manger même avec assez peu de moyens. En fait, c’était la priorité de mes parents, suivie de près par celle d’avoir de bonnes notes à l’école. Mon père a longtemps vécu à la campagne dans l’Aisne et m’a très tôt traînée dans les marchés et chez des paysans du coin.
Je crois que cet aparté familial explique assez bien mon rapport au bien manger : c’est un héritage fort pour lequel j’ai beaucoup de gratitude et auquel je ne veux pas renoncer.
Quant aux repas, ils sont pour moi synonymes de partage. Quand ce n’est pas le cas, je préfère manger sur le pouce dans l’attente d’un prochain repas partagé. Et si je suis pressée par le temps, je peux préférer sauter un repas que d’engloutir quelque chose à la va-vite.
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Tu valorises, notamment sur ton compte Instagram, une forme de slow living bien à toi, fait de bonnes quilles, de petits apéros entre amis, de vieille vaisselle, de clichés et de natures mortes toujours léchés qui invitent à la paresse, à l’épicurisme, des instants de vie tantôt poétiques, tantôt introspectifs, toujours très authentiques. Peux-tu expliquer ce que c’est, ce slow living à la Farah ? Je te remercie d’avoir utilisé le mot « authentique », qui est important pour moi. Instagram est le lieu de la mise en scène, c’est sûr, mais j’essaie vraiment de ne pas trop en jouer. La plupart du temps, je vide mon panier de courses sur ma table à manger et je prends une photo sans trop réfléchir, juste parce que je trouve ça joli. « Don’t take yourself too seriously», c’est vraiment l’un de mes préceptes. D’ailleurs, l’envers du décor parle pour moi: mes belles assiettes que je cogne une fois sur deux, mes plats oubliés en train de cramer au four et mes chaussettes trouées.
Pour répondre à ta question, le slow living pour moi, c’est essayer de tout faire en pleine conscience, d’accepter et d’assumer de se mettre sur une autre fréquence que ceux qui nous entourent, de bien bouffer, bien boire, dormir suffisamment, le tout sans trop se prendre au sérieux. Sacré truc.
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Quel est ton meilleur souvenir culinaire ? Un dîner au restaurant « The Tent » à Beit Sahour, en Palestine, en 2018. Sur la dizaine de convives attablés, à aucun moment l’un de nous n’a eu le menu entre les mains. Puis, le ballet interminable a commencé : une vingtaine de petites assiettes ont défilé sous nos yeux. Uniquement des plats de la cuisine palestinienne, une cuisine si généreuse, succulente et trop méconnue. Je crois qu’en me concentrant bien, je pourrais presque me remémorer les saveurs en bouche.
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Quelles personnalités du monde de la cuisine ou de l’alimentation - au sens large- t’inspirent ? Sans surprise, Olivier Roellinger que j’ai pu interviewer. Son engagement, son franc-parler, sa sensibilité et son parcours me touchent. J’admire le travail de l’ethnobotaniste François Couplan. Ce spécialiste, qui œuvre pour la réhabilitation des saveurs oubliées, travaille avec des chefs cuisiniers étoilés de différents pays afin de les aider à élaborer une cuisine à base de plantes sauvages.
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Quel est ton rapport au produit ? Le produit est pour moi fondamental. C’est la base de ma cuisine et il est au coeur de ma vision d’une alimentation responsable. Je ne suis aucun régime alimentaire — j’ai la chance de n’avoir aucune intolérance — mais je ne déroge pas à la règle du produit sourcé, de saison et respectueux du vivant. Je sais que mon discours peut irriter certain.es (j’ai appris à me taire quand on me sert des poivrons grillés en décembre à un dîner) mais c’est quelque chose que je ne cesserai de revendiquer.
Comme je ne me considère pas comme une grande cuisinière, ma technique consiste à assembler de bons produits entre eux. Et ça, ça fonctionne toujours.
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Je vois que tu arrives toujours à mettre en avant les producteurs.trices chez qui tu te fournis. Où et comment t’approvisionnes-tu ? J’adore faire les courses et j’y passe — volontiers — un temps fou. J’ai mon AMAP que j’adore et qui est très abordable, Kelbongoo, mes commerces de proximité de prédilection (Fine l’épicerie, Fromagerie Beaufils, Au bout du champ, O’divin, L’épicerie Miam, Le Panier d’à côté, l’épicerie Kilogramme, La Ferme de Chloé, Désirée fleurs, à Paris) et pareil pour les cavistes. Je vais aussi au marché de la Place des Fêtes à Paris, où il y une famille de fleuristes que j’apprécie beaucoup et le stand de Guy Barrais, un producteur à 80 km de la capitale.
Pour le reste des courses, je complète au supermarché, j’aime bien La Vie Claire, ce sont toujours des endroits à taille humaine. J’essaie de consommer des produits issus à minima de l’agriculture raisonnée. Et puis franchement, qu’est-ce que c’est bon ! Je mets au défi quiconque de ne pas reconnaître le goût dingue d’un légume « bien » cultivé sur un sol vivant.
Pour ceux qui n’ont pas forcément les moyens de faire leurs courses dans de tels commerces, le marché reste la solution la moins chère pour s’approvisionner en bons produits. Il faut repérer les étals qui vendent essentiellement des produits locaux. Ils ont souvent une gamme limitée, les légumes ne sont pas entreposés dans des boîtes colorées de type industriel avec écrit dessus — au hasard — Pink Lady, et il y a souvent la queue.
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On vit un moment un peu particulier avec ce confinement. Notre rapport à l’alimentation est exacerbé, on se raccroche à ce qui nous fait du bien: on envisage les aliments comme un refuge, le moment du repas comme un rituel quasiment sacré, incontournable. Qu’est-ce qui a changé de ton côté (ou pas d’ailleurs) ?
Tout d’abord, mon budget bouffe a bien augmenté ! Aussi, je ne fais plus que deux repas par jour, je saute le déjeuner, parce que c’était trop pour moi. Ça ne fait que renforcer mon amour du dîner. Avec la personne avec qui je vis, on prend le temps de cuisiner chaque soir. Ce mois d’avril sonne aussi le début du mois du ramadan, que je ne fais pas personnellement mais qui est important dans ma famille. Habituellement pendant cette période, je dîne souvent avec ma mère et ma sœur. Comme ça me manque et que j’ai du temps, je vais me mettre à cuisiner des plats typiques, comme la chorba ou la harira— avec l’aide de ma mère à l’autre bout du fil !
photo © : Farah Keram
Comment envisages-tu l’après confinement du point de vue de l’alimentation ? Et, plus largement, qu’est-ce que sera pour toi le repas de demain ?
J’espère que l’engouement qu’on connu les AMAP partout sur le territoire va se poursuivre. Et que les consommateurs, à la fois à travers les initiatives lancées comme Le Marché Vert ou La Charrette et qui ont dû adapter leurs courses à cause du périmètre limité, auront découvert une façon de consommer plus responsable.
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As-tu une petite recette personnelle facile à nous transmettre ?
Oui ! La Loubia algérienne : une plat réconfortant qui nécessite peu d’ingrédients.
Faites revenir dans un fait-tout des oignons émincés finement et un peu d’ail avec une bonne dose d’huile d’olive. Puis ajoutez-y des tomates coupées grossièrement sans leur peau. (Je les fais chauffer préalablement dans une petite casserole pour que la peau craquèle et soit plus facile à enlever). Couvrez et laissez mijoter au moins une demi-heure.
Ajoutez au mélange les haricots frais égouttés que vous aurez préalablement cuits dans l’eau bouillante une petite dizaine de minutes (ils doivent rester fermes). Mélangez le tout délicatement, couvrez et laissez mijoter à petit feu au moins une petite demi-heure.
Les quantités sont aléatoires, mais ne lésinez pas sur les oignons. Plus vous ajoutez de tomates, plus elle prendra l’apparence d’une soupe. En hiver, elle est réalisable avec du coulis de tomates en boîte et des haricots blancs secs, mais rien ne vaut la Loubia de l’été, avec des tomates gorgées de soleil et des cocos de Paimpol frais !
Où peut-on te suivre, voir (entendre!) ce que tu fais, et notamment ce que tu cuisines ?
Sur mon compte Instagram @farahkrm, sur les réseaux sociaux de 28 Minutes où sont publiées les interviews vidéos que je réalise et dans le podcast « Les histoires de 28 minutes », disponible sur toutes les plateformes d’écoute.
photo © : Farah Keram
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