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Le Potager des Mille Fleurs, oasis en construction

En un an seulement, Muriel et Gilles ont apprivoisé un petit lopin de terre difficilement cultivable à Rivedoux, au sud-est de l’île de Ré, aujourd'hui devenu Le Potager des Mille Fleurs. La certification bio en poche, ils produisent aujourd’hui fruits, légumes, aromatiques, fleurs comestibles et décoratives. Passionnés reconvertis sur le tard, c’est dans l’expérimentation qu’ils trouvent leur bonheur, au quotidien, en essayant de nouvelles techniques de culture ou de traitement, et en laissant libre cours à leur imagination, le tout sans mécanisation aucune. Mon acolyte Léa - une fois n’est pas coutume - m’accompagne à nouveau dans cette rencontre. Une interview fleuve qui débute sous la serre, renoncules à la main, et finit les pieds au bord des cultures d’aromates, sur une mini parcelle bien pensée, hyper optimisée, et qui ne demande qu’à s’épanouir. Ensemble, on a discuté installation en maraîchage, permaculture et adaptation à l’environnement local.


Crédit photos © : Ventre Archives



Muriel : “Je plante en même temps que je vous parle. Là je plante des renoncules, sur trois bandes. Ce sont des petites griffes qui ressemblent à des petites pieuvres. On fait des plantes comestibles mais aussi décoratives, toutes bio. Ces renoncules fleuriront en mai. On fait des cultures en rotation, donc sous cette serre on alterne les cultures sur chaque bande, d’une année à une autre. L’année dernière les renoncules étaient au bout là-bas, mais là on les a avancées. On fait un peu comme le sent, ici, avec la réalité de la terre qui est dure”.


Mahaut : “Et sablonneuse, j’ai l’impression, non ?”


Muriel : “Oui tout à fait, ce n’est quasiment que du sable. D’ailleurs, tout le monde nous a dit qu’ici on n'y arriverait pas avec cette terre. Ils appellent ça du sable à lapin. Ici on est touchés par de l’oïdium, mais on ne traite presque pas. On met le moins possible de souffre et de bouillie bordelaise. On n’utilise quasiment aucun produit, et au final on est en dessous des quotas maximum autorisés par le label bio. En ce moment, sur nos cultures on pulvérise du lait de vache bio, et ça marche bien".



Mahaut : “Et ce lait de vache provient d’où ? De producteurs du coin ?”


Muriel : “Pour l’instant, et puisque qu’on est arrivés il y a seulement un an et qu’on découvre encore l’île de Ré, on ne travaille pas avec des producteurs de lait rhétais. Et d’ailleurs je ne crois pas qu’il en existe. Mais pour le fumier on travaille le plus possible avec des éleveurs d'ici. Le fumier de cheval, on le prend auprès d’écuries proches d’ici, on a aussi demandé à la mairie et aux associations locales de nous amener des feuilles, des tontes, pour que cela serve à pailler nos cultures”.


Léa : “Comment utilisez-vous ce paillage ?”


Muriel : “On le dépose directement après l’avoir récupéré sur nos cultures, pour conserver l’humidité. Parce que le sol sablonneux est hyper filtrant, il ne conserve pas l’eau. Ensuite, ce paillage se dégrade et donne des nutriments à la plante".



Mahaut : “Vous n'êtes là que depuis un an ?”


Muriel : “Oui, on s’est installés là il y a an, en effet, mais comme on est passionnés on a fait énormément de choses en peu de temps, on a beaucoup donné. C’est pour ça que là on est un peu fatigués. On a bien vendu nos légumes, on a bien dimensionné nos cultures, pas trop, pas moins. On est pas de ce milieu-là, en plus".



Mahaut : “Que faisiez-vous avant, avec Gilles ?”


Muriel : “Moi j’étais parisienne, j’étais décoratrice à l’Opéra et à la Comédie française. Après on est partis dans le Lot pour y vivre pendant quelques années, j’ai travaillé dans des écoles pour accompagner des enfants en difficulté. Gilles, lui, était directeur de structures administratives, comme des MJC, etc. On a refait des formations sur le tard. Moi j’ai 53 ans, lui en a 45 ans. Et aujourd’hui on est des passionnés, vraiment. On ose davantage que ceux qui ont toujours fait ça. On tente des trucs, on essaie de nouvelles techniques, des nouveaux mélanges de variétés. Et puis on a l’énergie pour se lancer là-dedans”.


Léa : “ Et ce nouveau regard !”



Muriel “ Tout à fait ! On a l’expérience d’autre chose, de notre passé, qui nous sert au quotidien dans ce rapport à la terre. On est super contents, même si c’est dur, on ne va pas se mentir. Cet été j’étais au bout je crois. Ici on est exposés plein sud, fiou, ça tape !”.


Léa : “Oui, et puis il y a le travail de la terre, ici, mais il y a aussi tout l’après, la vente, etc."


Muriel : “En effet. Et puis aussi tout le travail de reconnaissance pour faire certifier nos cultures en bio. On a eu un audit, la certificatrice est passée nous voir. Malgré la présence de microparticules de plastique enfoui, on a directement obtenu la certification bio, car on est propres dans nos cultures. Salut Romu ! Le gars qui vient d’arriver là-bas c’est un copain, Romuald, il vient nous aider de temps en temps. Ill tient le restaurant La Coccinelle, juste en face de la biocoop à Saint-Martin. Il est bio à 100%, et il fait de super trucs, avec des fleurs, des algues. Et il vient se fournir chez nous”.



Mahaut : “J’allais justement vous demander quel était votre marché aujourd’hui, sur l’île ? A qui vendez-vous vos produits ?”


Muriel : “Alors l’été, c’est plutôt touristes, mais aussi tous les locaux de Sainte-Marie, car nous ouvrons tous les vendredis soir notre grange-réserve pour que les habitants de Sainte-Marie puissent venir s’y approvisionner. Nos légumes sont entreposés là-bas. En ce moment on a pas besoin de frigos pour le moment. Un copain nous en a prêté un, mais il l’a récupéré depuis, et on se débrouille bien sans. On fait avec ce qu’on a, et ça fonctionne, en fait. Les gens ici sont très solidaires. Tout le monde nous a aidés, quand on est arrivés. On nous a donné des vieilles serres, un camion".


Léa : “Même des gens que vous ne connaissiez pas ?”


Muriel : “En fait, Gilles avait déjà travaillé chez des maraîchers ici, avant de quitter le Lot définitivement. On voulait quitter cette région très rurale. On a adoré la nature, qui y est sublime, mais on voulait voir autre chose. Ici, sur l’île, ce qu’on aime c’est le côté à la fois citadin mais aussi rural. Dans les villages de l’île il y a beaucoup de monde à l’année. Donc, retour à mon histoire d’installation : Gilles a travaillé ici 6-8 mois avant qu’on ne vienne s’installer. J’ai de mon côté hérité d’une petite maison à Sainte-Marie, on y allait en vacances, on avait marre du Lot, je lui ai dit: ‘Si tu trouves du boulot sur l’île, on te suit’. Ca a été assez simple. Et une fois arrivés sur place, les gens se sont mobilisés pour nous aider à trouver du matériel”.



Léa : “Et le terrain ici, il est à vous, vous l’avez acheté, ou bien le louez-vous ?”


Muriel : “Non, nous le louons au prix de la terre agricole. C’est 200 euros par an”.


Mahaut : “Et combien d’hectares exploitez-vous ?”


Muriel : “On a un hectare ici, à Rivedoux. Et un hectare et demi au Bois-Plage. On y plantera sûrement des hélichryse, des petites immortelles jaunes qui sentent le curry, pour les vendre en gros, aux laboratoires cosmétiques comme Léa Nature”.



Léa : “Aujourd’hui, vous savez quelles cultures fonctionnent ensemble ?”


Muriel : “Ici, sur notre parcelle, on a un mélange de plein de choses qu’on a expérimentées et qui marchent pas mal. Là on met des courges, avec des radis, de l’ail, et des fèves, ça, c’est une combinaison qui marche bien. On nous a conseillé d’associer fraises et ciboulette, on a tenté, ça n’a pas marché du tout. Les associations dites vertueuses, il faut les expérimenter sur place, en fonction de notre sol et de notre environnement”.


Mahaut : “C’est un peu ça le métier de maraîcher, j’ai l’impression, aujourd’hui. Tenter, retenter, s’adapter, trouver des solutions ad hoc”.


Muriel : “Oui. Et Gilles a comme une intuition avec la terre. Il a vachement potassé les livres avant de se lancer, mais il a vraiment la main verte. Il me dit souvent : ‘C’est le moment de se lancer là-dedans’. On se lance, et ça marche. On a réussi à sortir une saison géniale. On est arrivés en mars, et en juillet-août tous nos légumes sont sortis. C’est super”.


Léa : “Et puis, vraiment, votre étal était trop beau cet été, tout était superbe !”.


Muriel : “On le fait vraiment avec le coeur, on y passe du temps. Ça se sent, je crois. Pour l’instant on a un salaire pour deux avec Gilles. On se dit que si un jour on peut en vivre, se verser deux salaires, tant mieux. Mais l’important pour nous c’est que ce qu’on fait doit avoir du sens. Et avec la Covid, l’idée de bien se nourrir a pris davantage d’importance. C’est peut-être pour ça qu’aujourd’hui, nous comme d’autres d’ailleurs, nous quittons des jobs qu’on pourrait qualifier de plus ‘superficiels’, comme le spectacle, que je connais bien. A l’époque, on fabriquait des décors de 400 000 francs, qui partaient à la benne le lendemain. Il y avait un côté pas essentiel, éphémère. Allez, on va faire un petit tour".



On quitte la serre, et nous nous dirigeons vers les allées de culture, à l’extérieur. Nous tombons sur Gilles, le compagnon de Muriel, qui se joint à la discussion.


Léa : “Vous avez un très joli potager !”


Gilles : “Ce n’est que le début ! C’est vrai qu’on est partis d’un sol très sec et ingrat. Il a fallu apporter énormément de matières organiques”.


Muriel : “Et on commence à avoir des vers de terre ! Maintenant on s’émerveille quand on voit un petit insecte sur notre parcelle. Ça vaut le coup de ne pas utiliser d’engins mécaniques, pour ne pas utiliser de fuel et de ne pas trop retourner la terre”.


Gilles : “D’ailleurs, cette terre-là n’a pas besoin d’être travaillée en profondeur”.



Muriel : “A la fin de la culture, on la déterre, on la laisse sur place, et ça nourrit les sols. On fait ça notamment avec le colza. On a un petit sol qui commence à se créer".


Gilles : “On ne laisse en fait jamais le sol à nu, pour ne pas avoir de lessivage de la matière organique”.


Léa : “Ici vous ne faites pas de cultures sur buttes ?”.


Gilles : “Non, en fait le principe de la culture sur butte c’est de mettre des couches de matière organique qu’on laisse se dégrader dans le temps, pour créer un sol. Cette culture intervient généralement sur des bases calcaires ou argileuses, où il y a à peine 20 centimètres de sol. Pour nous, ici, ce serait insensé de procéder comme ça puisqu’on a déjà un sol. A mes yeux, la permaculture doit s’adapter au lieu où l’on se trouve. C’est le principe qu’on applique ici. On récupère tout autour de chez nous : la fougère, l’ortie, le fumier de cheval, la drêche, les algues. Et on s’en sert pour amender nos sols".


Léa : “Pour les algues, les faites-vous sécher avant de les déposer sur les sols ?”


Gilles : “On ne les épand pas sur une culture, car elles ravageraient tout. On les épand sur une planche vide, on la laisse se dégrader pendant au moins trois semaines. Je vérifie souvent la matière pour voir si la dégradation est terminée”.



Léa : “Ce que vous faites, c'est à la fois du ressenti et de la connaissance”.


Gilles : “Oui. En arrivant ici on a dû composer avec un sol sablonneux très compliqué, on pense que c’est facile parce que c’est meuble, mais c’est tout le contraire. Donc on fait beaucoup d’expérimentations. Ici on est arrivés, on savait qu’on allait tout vendre, mais on savait avant de se lancer qu’on allait galérer avec les sols, devoir les amender deux fois plus pour deux fois moins de rendement. Ici, il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas faire, notamment tout ce qui aime la terre gourmande, les salades par exemple”.



Mahaut : “Du coup, sur quels types de cultures vous concentrez-vous ici ?”


Gilles : “Les racines ! Ici les navets ou les pommes de terre fonctionnent très bien. Là, vous arrivez à une période un peu transition, on rentre dans l’hiver, on a plus grand chose, on prépare la suite, on doit tout renouveler. Je vous explique le schéma de notre parcelle. On a dix jardins en rotation, chacun mesure 8 mètres sur 30. Le premier c’est des fraises qui restent deux ans, ensuite il y a les racines du mois de mars, puis les cucurbitacées du mois d’avril, puis à nouveau racines, puis tomates de fin avril, racines moi de mai, puis courges, puis racines, puis ail, puis pommes de terre, etc. Et le principe c’est de tout décaler d’un jardin, d’une année à l’autre. Concrètement, sur nos cultures en association, l’idée c’est d’avoir une plante maîtresse, une autre plante couvre-sol, et une plante qui apporte de l’azote”.



Léa : “Je lis en ce moment le bouquin de la ferme du Bec Hellouin, ça vous dit quelque chose ?”.


Muriel : “Bien sûr, on s’en est largement inspirés ! Aujourd’hui, on se sent responsables d’un bout de planète. On se dit, ici au moins les insectes ou animaux qui veulent s’installer, ils sont chez eux !”.



Ces sur ces derniers mots et précieux conseils qu’on laisse Muriel et Gilles retourner à leur terre. Nous les avons déjà bien occupés en cette matinée de novembre ensoleillée. Nous repartons des odeurs plein le nez - florales mais aussi herbacées-, le goût des radis glaçons et des graines de nigelle en bouche, des images de petites pousses sur la bonne voie pour s’épanouir, mais aussi l’agréable impression que de petits écosystèmes sont en train de reprendre leurs droits au sein des parcelles du couple, pour le plus grand bonheur de ce-dernier.





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