On passe devant cet atelier vitré, et à chaque fois, c’est pareil : des gens assis derrière les grandes vitres papotent, des petites tasses à la main, un peu de chocolat chaud au-dessus des lèvres, des miettes de fondant au chocolat partout sur la table, ils ont l’air bien. On les jalouse quelques secondes, mais pas trop longtemps avant de s’autoriser d’aller pousser la porte pour les rejoindre. À peine un pied posé, on découvre Sandra, toute souriante, qui s’active derrière l’îlot immaculé qui sert à la présentation des produits mais également au tri des fèves. On croise un client qui repart avec quatre petits pots de crème au chocolat sous le bras. À l’autre bout de la petite boutique-atelier, Nicolas répond aux questions des curieux, en leur faisant goûter, à l’aide d’une petite cuillère, le précieux liquide brun tout juste obtenu du broyage et mélange des fèves dans une grande cuve chauffante.
photo © : Plaq
Lieu hybride, espace de fabrication et de vente, mais également salon de thé, Plaq est une manufacture de chocolat tenue par Sandra Mielenhausen et Nicolas Rozier-Chabert, deux amoureux aventuriers, comme ils aiment se présenter. Difficile d’imaginer qu’ils étaient, il y a de cela deux ans, au Vénézuela puis au Pérou pour se former tant le lieu a l’air inscrit dans le paysage de la fameuse rue du Nil, dans le 2e arrondissement parisien, animée de plusieurs boutiques (Terroirs d’Avenir y tient un véritable bastion avec sa boulangerie-pâtisserie, sa poissonnerie, son épicerie-primeur, sa boucherie-charcuterie et sa crèmerie, aux côtés d’une cave à vins et d’un torréfacteur, mais également des restaurants Frenchie).
photo © : Plaq
Découvrir différents cacaos (Maya Mountain de Bélize, Chuao du Vénézuéla, Gran Nativo et Gran Yapatera du Pérou), apprendre des savoir faire ancestraux aux côtés des producteurs, voilà ce que Sandra et Nicolas étaient venus faire lors de leurs voyages en Amérique du Sud. C’est dans cette démarche de filiation aux pratiques traditionnelles, dans le respect du produit brut, que le couple décide alors d’ouvrir Plaq, une manufacture de chocolat qui fait la part belle à la philosophie « bean to bar », née à San Francisco dans les années 2000. L’entreprise fabrique donc son chocolat « de la fève à la tablette », sans sauter aucune étape à partir du moment où les fèves sont réceptionnées. On comprend l’importance du terme manufacture, choisi par Sandra et Nicolas pour désigner leur bébé: la main est l’outil essentiel et démiurgique, incontournable.
photos © : Ventre Archives
Et en effet, chez Plaq la main est bien l'outil principal, à chaque phase du processus de fabrication. Après avoir été sélectionnées grâce aux conseils des spécialistes Chloé Doutre Roussel (auteure, consultante, experte en cacao et chocolat fin) et Céline Lecoeur (cheffe pâtissière chocolatière formée à Londres auprès d'Ottolenghi), les fèves arrivent dans de lourds sacs en jute - première chose que l’on aperçoit dans la rue en arrivant à la boutique -, en direct de Bélize, du Pérou, du Vénézuéla ou de Tanzanie. Il faut les porter à la main dans l’atelier et les verser dans plusieurs seaux.
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Les fèves sont triées à la main puis torréfiées au four. À ce stade Nicolas m’explique que contrairement à d’autres torréfacteurs de fèves, Plaq a fait le choix de torréfier à feu relativement doux et sans rajouter ni sel ni vanille pour ne pas annihiler ni masquer le goût brut de la fève de cacao. Un soin tout particulier est donc donné au tri des fèves pour ne garder que celles qui ne sont pas abîmées ni moisies.
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Puis, les fèves encore chaudes sont concassées et décortiquées dans le cracker winnower, une drôle de machine (conçue par eux et fabriquée par un artisan des Cévennes auquel ils ont fait appel. Cf. photo ci-dessus) qui récupère ces éclats de fèves pour obtenir ce qu’on appelle le grué de cacao. Un système d’aspiration permet aussi de capturer les écorces de la fève, qui seront utilisées en infusions. Le grué obtenu, quant à lui, est mis dans une grosse cuve (« La Rolls-Royce » des machines me dit Nicolas) dans laquelle il est broyé et mélangé, à température de 40 degrés Celsius environ, ce qui permet au chocolat de développer tous ses arômes. Au bout d’une demi journée, le sucre est rajouté et… c’est tout ! Oui, chez Plaq, pas de beurre de cacao, pas de lécithine ou d’émulsifiant. Rien, le chocolat, à poil. Au bout de deux autres jours, le chocolat obtenu est vidé dans des bacs dans lequel il va se solidifier et maturer pendant deux semaines. C’est normalement à ce stade du processus que les chocolatiers reçoivent le chocolat, une fois qu’il a été chauffé et mélangé. Ensuite, le chocolat est remis à température dans une tempéreuse, puis moulé en tablettes ou bien envoyé en pâtisserie pour être intégré dans la composition de petites créations hyper gourmandes, du fondant à la tarte au chocolat, sans oublier les pots de crème et les cookies.
photo © : Ventre Archives
Au bout du compte, un chocolat brut, épuré, qui réveille sur le bout de notre langue des saveurs inconnues et des envies d’ailleurs. Quand Nicolas me tend la cuillère de chocolat en direct de la cuve, je me vois me balancer sur un hamac, à Bélize, l’odeur des fèves torréfiées et concassées dans les narines.
vidéo © : Ventre Archives
Aujourd’hui, Plaq collabore avec certains chef.fe.s et restaurateurs.trices - à l’instar de Grégory Marchand à la tête des restaurants Frenchie dans leur rue - qui souhaitent bien souvent réduire la teneur en sucre de leurs desserts pour laisser toute sa place à l’arôme brut et naturel du chocolat que peu d’entre nous connaissent bien, finalement. Ce qui est sûr c’est que Sandra et Nicolas mettent beaucoup d’amour dans ce projet. On ne peut que valider leur manifeste, visible sur leur site :
Un œil,
Une bouche,
Une main,
Qui cherchent, qui aiment et qui mêlent,
Une façon et un savoir-faire.
C’est un mouvement de chocolat.
Une philosophie,
Une méthode,
Pour consommer mieux et autrement.
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