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Les Fumaisons de Groix : retour en grâce du fumage de poisson, dans les règles de l'art

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la pêche au thon blanc, la transformation et le fumage des produits de la mer ont représenté l’essentiel de l’activité marine de Groix, îlot au large de Lorient. Ce n’est que depuis 2017 que l'atelier Les Fumaisons de Groix, situé à Port-Tudy, redonne avec brio ses lettres de noblesse au fumage des poissons au bois de hêtre, dans tout le respect du produit et de la tradition.


Crédit photos © : Ventre Archives



Au retour de la Ferme de Port Coustic, située plus à l’Est de l’île de Groix, je dévale la pente qui mène jusqu’au port Tudy, port d’arrivée sur l’île, et dépose mon vélo contre une rambarde. Je me dirige alors vers le bout du quai, là où les bateaux se font plus industrieux, plus authentiques et moins récréatifs, là où des vieilles bouées et des cordages colorés de plusieurs centaines de mètres de long s’amoncèlent dans des bacs en attendant qu’on ait besoin d’eux. Je tombe à ce moment-là sur celui que je voulais voir, Patrick Saigot, co-fondateur des Fumaisons de Groix, un atelier de salage et fumage de poissons et produits de la mer. Pourquoi aller visiter cet atelier ? Parce que Pat, comme tout le monde l’appelle ici, est aussi co-associé du Bao Bistrot, dont l’équipe m’a accueillie lors de mon séjour à Groix. Il fournit de temps en temps le restaurant en produits fumés - saumon, lieu, maquereau, thon, sardine, anchois, églefin, chinchard, merlan, mulet noir, poulpe, poutargue, moules… - que le chef Maxime et son équipe accommodent en salades ultra fraîches et gourmandes.



Pat ouvre les portes de l’atelier et voilà que mes narines s’emplissent d’un délicieux fumet. Je viens visiter l’atelier à un moment calme. Pas d’employés qui préparent et habillent du poisson tout juste réceptionné, les différentes salles sont vides, les couteaux et ustensiles rangés à leur place. Seul le fumoir est actif, c’est d’ailleurs celui-ci dont Pat vient relever l’activité car des saumons salés y ont été déposés avant la nuit pour y être fumés durant de longues heures. C’est dans ce cadre que débute notre échange.



Cela fait une petite vingtaine d’années que Pat est groisillon (résident de Groix). Avec une affaire dans les moules qui marche bien depuis le début des années 2000, située à Port-Lay, des pop-ups autour de l’huître qui ravissent les Parisiens, il a envie d’ailleurs. En 2016, c’est donc à Madagascar qu’il s’exporte avec femme et enfants, dans le souhait de développer un business autour de l’huître. Un an après, les résultats n’étant pas à la hauteur de ses attentes, il rentre au bercail. L’idée de relancer un atelier de fumaison lui avait été soufflée par un doyen de l’île avec qui Pat discutait avant son départ à Madagascar, idée qu’il avait gardée bien au chaud dans un coin de sa tête. Redonner ses lettres de noblesse à ce savoir-faire ancestral qui était justement pratiqué sur l’île il y a des années (en particulier avant la Seconde Guerre mondiale puis avec quelques épisodes dans les années 60), ça, ça lui parle. Pas de temps à perdre : avec l’aide des groisillons Jean Louis Farjot (chef du restaurant Le Cinquante), Simon Calloch (chef d'orchestre du port) et le rochelais Thomas Spriet (quincailler de marine), c’est en 2017 que leur atelier voit le jour, tout au bout du quai à gauche en arrivant au port Tudy. Un bel édifice tout en bois portant fièrement l’enseigne « Les Fumaisons de Groix - Dégustation » L’atelier est en rez-de-chaussée, et l’espace de dégustation est en haut, auquel on accède par un petit escalier sur le côté du bâtiment.



La marchandise arrive par la porte principale, puis est entreposée dans une première chambre froide. Tout d’abord, dans une grande salle aménagée avec des plans de travail larges, les produits sont préparés, les poissons sont vidés, désarêtés, mis en filets à la main. Puis, afin de supprimer les éventuels parasites pouvant se loger dans les chairs de certains poissons, ceux-ci sont surgelés à une température de - 22 degrés Celsius. Après quelques jours, ils sont transférés dans une chambre froide un peu plus tempérée. Avant d’être fumés, les poissons sont salés au sel de Guérande, selon un dosage qui s’adapte à la taille du produit. Puis, ils sont transférés à nouveau en chambre froide, sur des grilles transportables. À ce stade, le poisson perd habituellement environ 10% de sa masse corporelle. Pat m’explique que certains fumeurs injectent donc des nitrites pour conserver la forme et la masse du produit, mais que de son côté, il a choisi de ne pas pratiquer de tels ajouts d’intrants chimiques, pour laisser le produit le plus naturel possible. Ensuite, le produit salé est déposé dans le fumoir : une machine tout ce qu’il y a de plus moderne, une sorte de four en inox avec un petit hublot. Hygrométrie et durée sont réglés et adaptés à chaque produit. Les paillettes de hêtre proviennent d’exploitations forestières allemandes écoresponsables et, comme la tradition le veut, elles sont humidifiées dans une autre machine pour permettre une combustion longue. La fumée ainsi produite est injectée dans le fumoir. Un fumage est réalisé soit à froid (30 degrés C.) soit à chaud (60 degrés C.), et dure entre six et neuf heures selon le poisson. Souvent, les produits sont entreposés au fumoir avant la nuit, fumés, puis, quand le processus est terminé, la machine s’arrête et passe en mode réfrigération jusqu’à qu’un employé arrive le lendemain et ne conditionne les produits sous vide. Il faut noter ici que pendant le fumage, le produit perd à nouveau environ 15% de sa masse.


J'ai pu goûter à différents produits fumés des Fumaisons du Quai, grâce à un petit plat préparé par l'équipe du Bao le premier jour de mon arrivée sur Groix. Ce que j'ai préféré reste la touche boisée et brute qui saisit d'abord le nez, puis la langue, sans supplanter le reste, en laissant toute sa place au goût naturel des chairs. 



Côté business, les produits sont vendus sur place en direct (surtout l’été), aux supermarchés de l’île, aux biocoop “en face” (Lorient, Locmiquelic, Lanester…), à des épiceries (Terroirs d’Avenir, Épicerie Roots ou La Maison Plisson à Paris, Épicerie L’Idéal à Marseille, et même en ligne via Culinaries), ou bien encore à des semi-grossistes (comme Tom Saveurs) qui revendent ensuite aux restaurants. Pat explique que les produits de son atelier sont relativement chers, car les marchandises avec lesquelles il s’approvisionne, auprès de pêcheurs et fileyeurs de Groix, et Terre de Pêche (entreprise de mareyage à Loctudy particulièrement attentive aux conditions de pêche) sont de qualité et de saison. Même le saumon, qui n’est pas présent dans les eaux du Golfe du Morbihan, provient d’un élevage d’excellence (Saumon de France, situé à Cherbourg). De plus, il achète sa matière première au prix coûtant. “D’autres fumeurs achètent le filet de merlan à 1,50€, moi je l’achète ici à 12€ le kilo, ce n’est pas la même démarche. Je cherche à faire un produit fini hyper qualitatif”. Proposer un produit naturel, de saison, pêché dans de bonnes conditions, auquel on a ajouté aucun intrant chimique, fumé sur un temps relativement long, voilà le crédo de Pat et de son atelier. Il apparaît au final logique que le prix de vente reflète cette démarche.


Pour autant, il semble que jusqu’à présent l’atelier n’avait pas forcément et automatiquement aligné ses prix de vente sur ses coûts de production. Le jour où je visite Les Fumaisons, Pat me dit qu’un nouvel associé de l’entreprise aménage sur Groix, pour aider l’atelier à trouver davantage de débouchés. Après avoir réalisé un audit auprès des Fumaisons, celui-ci a notamment conseillé à l’équipe de ne plus vendre des produits à perte, comme le poulpe, et d’en augmenter le prix si nécessaire. “On a dû par exemple appeler Terroirs d’Avenir pour justifier notre hausse de prix sur certains produits. Nous avons dû leur expliquer que jusqu’à maintenant on ne réalisait aucune marge sur le poulpe fumé, voire on perdait de l’argent”. Cela a-t-il été bien reçu ? Passé un premier étonnement, les épiceries ont compris que pour proposer à leurs clients des produits fumés de qualité, fabriqués à partir de matière première sourcée et saine, il fallait accepter un certain prix. Terroirs d’Avenir propose aujourd’hui encore par exemple une planche de poissons et poulpe fumés à 15€.



Pour la suite, Pat aimerait développer le volet dégustation des Fumaisons. Pour le moment, l’espace de dégustation est une terrasse couverte, située presque en haut du bâtiment. C’est d’ailleurs sûrement la plus belle vue depuis le port ! On peut  y manger des planches d’assortiments de produits fumés, accordées à une belle sélection de vins. Les tables, tabourets et mange-debouts sont fabriqués par un artisan breton qui récupère les matériaux des tonneaux qui sont d’ailleurs les mêmes qu’au Bao Bistrot, dont Pat est co-associé. Rien n’est laissé au hasard, le respect de la tradition jusqu’au bout ! Dans l’idée, il aimerait permettre à des chef.fe.s de venir travailler ses produits, les mettre en valeur lors de pop-ups de plusieurs semaines à plusieurs mois, surtout pendant la grosse saison, d’avril à septembre. À bon.ne entendeur.se…



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