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La Bière de Groix, cercle d'orge, de houblon et de vertu

Régénérer la terre pour susciter du développement”, tel est le crédo de Jean-Pierre Rennaud, fondateur et dirigeant de la brasserie La Bière de Groix, installée sur cette petite île au large de Lorient depuis un peu plus d’un an. Sa brasserie est ce qu’il appelle lui-même un “projet de transmission et de synthèse”, qui lui permet d’être dans la continuité des valeurs acquises au fil de ses expériences et notamment celles, chères à son coeur, propres à l’agriculture régénérative et circulaire.


Crédit photos © : Ventre Archives



Depuis très longtemps, Jean-Pierre vient en vacances sur l’île de Groix, jusqu’au jour où il se dit qu’il lui faut y rester, y vivre, y puiser son inspiration quotidienne, et rendre la pareille à cette île dont les sous-sols recèlent des trésors. C’est au beau milieu de la salle de brassage, constituée de belles cuves en inox flambant neuf, que notre discussion commence.


Ingénieur de formation, Jean-Pierre passe 30 ans au sein du groupe Danone. Il connaît plusieurs métiers : brasseur pour Kronembourg, mais aussi responsable des activités France pour Lu. Il est enfin vice-président du groupe, chargé de l’environnement au niveau mondial pendant huit ans. De ce parcours, Jean-Pierre retient deux éléments saillants. D’une part, sa rencontre avec Antoine Riboud, fondateur et président de Danone, dont il me rapporte les mots qu’il aurait prononcés en 1970, devant ses collègues : “Si pour développer votre business vous comptez essentiellement sur vos finances, vous vous fourrez le doigt dans l’oeil, il nous faudra tenir compte de l’environnement car nous ne sommes pas dans un désert social et environnemental. Il est important que l’avenir de nos entreprises trouve sa place au coeur de la nature et des hommes ”. Cet cet état d’esprit qui fascine Jean-Pierre qui, au sortir de ses études, fait tout pour intégrer cette entreprise, chose qu’il obtient en 1983 avec l’intuition qu’”une entreprise doit rendre un service à la société et en contrepartie la société doit lui rendre un service. Il doit y avoir interpénétration”. La deuxième impression qui l’influence, à long terme, est son passage chez Lu qui lui permet de réaliser qu’il existe une déconnexion croissante entre l’homme et la nature. “Chez Lu, j’avais des marketers qui ne savaient pas qu’on faisait des biscuits avec du blé, ils vendaient du vide. J’ai ainsi peu à peu pris conscience que la dynamique négative de dégradation de la nature pouvait nous mettre en péril, du point de vue de la nourriture et donc du point de vue de notre santé. Je me rappelle avoir discuté avec Franck, le fils d’Antoine Riboud, à l’époque de la mise en place du protocole de Kyoto dans les années 2000. Je me demandais pourquoi nous n’évaluions pas ces nouvelles économies à l’aune de ce qu’elles pouvaient apporter aux écosystèmes en voie de disparition, mais qui pourtant sont nourriciers”.



Ces premières interrogations, cette prise de conscience lui donnent envie d’agir. En 2009, il crée le fonds d’investissement Livelihoods, qui fédère des entreprises qui souhaitent agir à leur échelle pour encourager “des pratiques agricoles permettant de produire davantage de nourriture tout en préservant nos ressources naturelles”. Des projets intégrés sur plusieurs volets (social, environnemental et économique) sont menés par le fonds en Afrique, Asie et Amérique latine. “15 entreprises ont décidé de nous suivre : Danone, bien sûr, mais aussi Mars, La Poste, Schneider Electrics, Hermès”. Le modèle économique de ce fonds repose sur les crédits carbone “à forte valeur sociale” que les investisseurs reçoivent en contrepartie de leur contribution financière. “Depuis, on a replanté 200 millions d’arbres, restauré quelque chose comme 20 000 hectares de terres, dans une douzaine de pays dans le monde”.



Comment en est-il arrivé à vouloir s’implanter à Groix et y monter une brasserie ? “Groix était mon havre de paix, nous y avions acheté une maison il y a plus de 15 ans. De la même manière que dans dans certains pays en Afrique je retrouvais une certaine énergie, à chaque fois que je venais à Groix, je me rechargeais, j’en repartais empli d’une certaine force. J’ai réfléchi à ce que je pouvais faire, ici à Groix. Je pouvais partir de ce que je sais faire, le métier de brasseur, et puis de ce qui existe ici, les céréales. En plus, j’ai réalisé que les sous-sols de Groix étaient extraordinaires. Contrairement à la Bretagne qui est basée sur un sol granitique, les sous sols de l’île de Groix sont un mélange de schistes et d’autres minéraux. J’ai d’ailleurs trouvé un texte qui disait : ‘’Blé de Groix. Moulin de Blois. Table du Roi’’. Donc le pain que mangeait Louis XIV était fabriqué avec du blé de Groix ! ”. Très vite, Jean-Pierre comprend que cette idée est peut-être plus importante et plus idoine qu’il ne le croit. En effet, les terres arables groisillonnes commencent à se faire rares. Abîmées par des siècles d’exploitation agricole, elles n’ont pas été remises en état, sont devenues compactes et, de fait, elles n’ont plus absorbé l’eau qui, au lieu de pénétrer dans les sols, a ruisselé. “Mais alors, ce qu’on fait dans les pays du Sud, pourquoi ne le ferais-je pas aussi ici ? ” s’interroge Jean-Pierre.


L’idée fait son chemin. Jean-Pierre confie au département scientifique de l’Université de Montpellier le soin de réaliser des tests sur 12 variétés différentes d’orge qu’il a semés sur une parcelle d’1,5 hectare, à Groix. Les tests sont plus que concluants, révélant des taux de minéralité exceptionnels, et le grain lui-même est d'une "qualité remarquable". C’est le dernier signe que Jean-Pierre attendait, il décide alors de se lancer. C’est en juin 2019 que naît ainsi la Brasserie, située dans la zone artisanale, après le centre bourg de Groix.



Notre brasserie ne fait que remettre en valeur les savoir faire qui étaient pratiqués depuis très longtemps. Elle est un projet qui cherche à s’ancrer dans le terroir local, puisant dans ses ressources tout en lui permettant de se régénérer". Regénérer, c’est peut-être le verbe préféré de Jean-Pierre. “Je suis un passionné d’agriculture régénérative. Aujourd’hui, on estime que 5 à 10% des terres françaises sont en agriculture régénérative, alors qu’il y a un siècle, c’était 100%. Celle-ci est basée sur trois principes fondamentaux liés par un postulat : la terre n’a pas besoin de l’homme pour être en bonne santé, encore faut-il la mettre dans des conditions qui lui permettent de s’auto-entretenir. C’est comme notre corps, nous n’avons normalement pas besoin de médicaments pour bien vivre, tant que notre alimentation et notre activité sportive et intellectuelle sont saines”. Si je résume les mots de Jean-Pierre, le premier principe de cette agriculture est l’impératif de ne pas labourer pour ne pas détruire les micro-organismes présents dans le sol et qui maintiennent la terre en vie. Le second principe impose de préserver le couvert végétal permanent, qui permet de nourrir la biodiversité, de limiter le phénomène d’érosion des sols et de favoriser la bonne absorption de l’eau. Le dernier principe implique une rotation des cultures.


Nous nous dirigeons vers un grand hangar où sont entreposés de grands sacs, où sont contenus les grains d’orge moissonnés durant l’été 2019. Jean-Pierre m’en tend une poignée. Dès le début de cette aventure en effet, Jean-Pierre s’associe avec un agriculteur céréalier à qui il achète l’orge et le houblon. Celui-ci s’engage à exploiter ses parcelles sur le principe de l’agriculture régénérative. “Nous ne faisons jamais notre culture d’orge sur la même parcelle, on applique des rotations sur trois ans”. Actuellement, sept hectares de terres sont exploités. À terme, selon Jean-Pierre, la surface céréalière exploitée devra être étendue jusqu’à 20 à 25 hectares de terre pour atteindre la pleine capacité de production de la brasserie. Celui-ci m’explique qu’à l’heure actuelle 350 hectares de terres cultivables mais en conditions dégradées sont recensées sur l’île. C’est précisément le type de terres ciblées par la brasserie groisillonne.



Nous revenons du côté des cuves en inox. Jean-Pierre m’explique que l’orge, une fois moissonné, va être malté. “On déclenche la germination de cet orge. Dans ce germe on va trouver tous les complexes enzymatiques qui vont transformer l’amidon en matériaux assimilables, sucres, protéines, etc. On va stopper la germination assez rapidement en pulsant de l’air chaud entre 300 et 400 degrés pour avoir un malt pâle et donc une bière blonde. Si l’air est plus chaud, alors le grain caramélise, on obtient donc une bière ambrée. Et si on torréfie les grains, alors on obtient des stouts, comme la Guinness”.


Suite au maltage, une phase de concassage est mise en oeuvre. Dans un concasseur, le contenu du grain est écrasé et expulsé de son enveloppe. L’objectif est de permettre une meilleure extraction des enzymes et des sucres.



Puis, le brassage peut débuter. La mouture d’orge est déposée dans des cuves pour être brassée, avec de l’eau. L’eau utilisée par la brasserie est extraite des sous-sols de Groix, dont nous avons parlé précédemment, très riches en nutriments et minéraux. La température est augmentée progressivement, ce qui va susciter la réaction de Maillard. L’amidon est transformé en sucres lents, en protéines, selon des paliers de température différents, de 50 à 78 degrés. Une fois cette opération terminée, l’amidon a disparu.


Le mélange est alors inséré dans une cuve filtre, dans laquelle la partie liquide et la partie solide vont être séparées. La partie solide, la drêche, n’est pas jetée, elle est récupérée par des maraîchers, dont les deux frères Leclercq, installés sur la ferme Kerdurand, mais aussi par une pâtissière locale qui en fait des crackers. Le liquide, quant à lui, ce que Jean-Pierre nomme “la partie noble” ou moût, va servir au houblonnage.


Le moût est ensuite stérilisé et aromatisé. À la Bière de Groix, on développe la bière avec une majorité d’orge et on aromatise avec des grains de houblon. “Pour 2000 litres de moût j’ai besoin de 500 kilos d’orge et de 500 grammes de houblon” m’explique Jean-Pierre. “Moi je ne rajoute rien. Une bière se fait avec de l’eau, de l’orge, du houblon et de la levure. Point. Je ne rajoute pas d’arômes. Moi j’ai une chance inouïe, c’est la terre de Groix, une fameuse minéralité ”.


Le moût subit ensuite une phase de cuisson, pendant une heure et demi, ayant pour objectif de sublimer les couleurs du liquide. Puis, il est refroidi pour le ramener à une température satisfaisante pour que commence la fermentation.



De la fabrication de la mouture, dans la phase de concassage, à la fermentation, il faut compter huit heures. “Notre métier est instantané, il ne faut pas s’arrêter en cours de route, il faut aller au bout du procédé”. Ensuite, la fermentation dure quelques semaines dans des cuves auto-régulées en froid. On laissera plus longtemps maturer une bière ambrée ou fumée, alors qu’on stoppera plus vite la fermentation d’une bière blonde. Quand le goût convient au brasseur, celui-ci stoppe la fermentation en envoyant “un coup de froid”. Une clarification de la bière intervient : la levure décante et se dépose au fond de la cuve (Jean-Pierre aimerait d’ailleurs récupérer cette levure, pourquoi pas pour en faire des shampoings). La bière est prête.


Jean-Pierre se dirige alors vers une grande cuve sur laquelle l’écriteau “Fumée” est apposé, il s’agit d’une bière en phase de test. “Pour goûter une bière, il faut d’abord la regarder. On observe la qualité de la mousse. Lorsque la mousse est fine, cela signifie que les orges utilisés comportaient de bons niveaux de protéines. Ensuite, on observe la couleur. Puis, il faut sentir. Enfin, il faut la déguster, en trois phases, peu importe l’ordre : on fait du rétro-nasal, on essaie de faire revenir le goût de la bière vers le nez pour bien appréhender les arômes des céréales. Ensuite, on fait tourner la bière autour de la langue qui va s’imprégner de l’amertume. Une dernière gorgée va permettre de comprendre s’il s’agit d’une bière légère ou capiteuse”.



Avant que nous ne partions visiter ses champs de houblon et ses terres en phase de régénération, à l'est de l'île, il me tend un verre de cette bière fumée, j’y goûte en respectant le protocole qu’il vient de me détailler et… c’est fameux ! Beaucoup plus complexe que ses amies blonde ou ambrée, la bière fumée révèle un goût très original. Plus qu’à espérer la retrouver dans les bars et restaurants de l’île dans quelques mois (et notamment au Bao Bistrot !). 




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