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La Belle d'Ilur, un chantier ostréicole qui en a sous le capot (la coquille, pardon)

Ce n’est pas pour rien que le hasard a nommé le bateau de Nolwenn Réhault le “Cause-toujours”, comme un pied de nez à ceux qui voudraient lui mettre des bâtons dans les roues. Dans un milieu majoritairement masculin, cette ostréicultrice éclairée et hyper inventive est à la tête de son propre chantier, La Belle d’Ilur, à Séné (Morbihan). Elle contribue à sa manière à une production ostréicole naturelle, vertueuse écologiquement mais aussi socialement.


Crédit photos © : Ventre Archives



À l’époque, basée à Rennes, Nolwenn commence par obtenir un DESS d’aquaculture, sans trop savoir qu’en faire. On lui propose de s’orienter vers l’enseignement, mais elle a en tête qu’on ne peut bien transmettre sans avoir soi-même “mis les mains dans le cambouis”, dans l’eau en l’occurrence. Mais très vite, elle comprend qu’elle n’est pas faite pour la vie citadine. “C’est physiologique, j’étouffe en ville, avec le béton, j’ai besoin de nature. Pour être sûre d’être proche d’elle, je vais faire un métier en lien avec l’eau. Et puis la vie c’est fait pour être heureux. Il faut trouver ce qui nous met en joie. Moi c’est l’eau. Patouiller dans l’eau, ça c’est du bonheur !” dit-elle dans un grand rire. C’est ainsi qu’elle commence à travailler chez un producteur d’ormeaux mais réalise qu’elle n’a pas envie de travailler pour quelqu’un. Elle réfléchit à ce qu’elle peut faire, en fonction de ses moyens et de son temps d’investissement disponible étant donné qu’elle a des enfants en bas âge.



Dans le golfe du Morbihan, il y a des parcs à racheter. C’est là, en 2009, qu’elle décide de s’implanter, aidée par son compagnon de l’époque. Au début, elle n’exploite qu’un naissain (ensemble de jeunes mollusques qui viennent d'éclore) qui produit tellement qu’il n’a finalement plus aucune valeur. Elle réinvestit, et le naissain prend forme, cette fois-ci. “Petit à petit on a remonté les trois ans d’élevage nécessaires pour faire une huître marchande. On a racheté des marchés et c’est ainsi que notre affaire s’est mise en place”. C’est à Séné qu’elle acquière son actuel chantier ostréicole. C’est ainsi que le chantier de La Belle d’Ilur (du nom de l’île en face du chantier où les huîtres se développent) voit le jour, et avec lui une méthode de production ostréicole naturelle qui fait naître et élève des huîtres en pleine mer. En effet, à La Belle d'Ilur, les huîtres commencent à se développer en mer charentaise, sur des collecteurs qu’ils viennent ensuite récupérer au printemps et élèvent pour une durée de trois ans dans leur parc, à Séné. Le travail de Nolwenn est aujourd’hui d’ailleurs considéré à sa juste valeur car elle a récemment obtenu le label “Nature & Progrès”.



Pendant plusieurs années, elle vit une situation délicate, si ce n’est compliquée, financièrement mais également humainement. Pour commencer à trouver un équilibre économique, en effet, il leur faut “cravacher comme des chiens pour boucher les trous, réussir à ce que ce soit financièrement cohérent” m’explique Nolwenn. Humainement, c’est une autre histoire, peut-être celle qui la marque le plus, encore aujourd’hui, et qui lui sert de point de départ pour un projet social que nous évoquerons ci-après. Sa relation avec son compagnon s’étiole au fur et à mesure que des dissonances apparaissent entre eux et que celui-ci, par son comportement, commence à porter préjudice à la vie de la Belle d’Ilur. La gestion du chantier devient compliquée. Aussi décide-t-elle de mettre fin à sa relation avec lui et, partant, à leur collaboration professionnelle.



Jean-Paul, son nouveau compagnon, ancien peintre en bâtiment, la rejoint en 2016 sur le chantier, embarqué par le côté entraînant et persuasif de Nolwenn. Aujourd’hui, Nolwenn et lui se partagent naturellement les tâches du chantier. “Jean-Paul est spécialisé sur les tâches de réparation, alors que moi je m'attèle à l'administratif, la compta et bien sûr à l’élevage. Ca fonctionne bien, on est complémentaires” détaille-t-elle. “Mais on travaille de trop” rajoute-t-elle.



Notre discussion aborde alors la problématique d’un modèle économique à flux tendu, dont beaucoup de producteurs doivent aujourd’hui subir les effets. “Nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. Beaucoup de producteurs aujourd’hui travaillent sans relâche. On arrive pas à prendre de week-ends ou de vacances. On a pris que deux jours l’année dernière”. Dans le cas de Nolwenn et Jean-Paul, leur travail quotidien est actuellement influencé par des conditions exogènes, environnementales au premier chef : “On a eu une forte mortalité ces derniers temps, car on subit de plein fouet le réchauffement climatique. Les eaux sont très chaudes, il n’y a plus d’oxygène. On se retrouve avec des eaux mortes. Quand il y a un peu de courant, en mer, cela passe encore. Mais quand on transfère les huîtres dans des bassins, on a beau buller, ça ne sert à rien !”. Nolwenn doit ainsi aménager des solutions pour sauver ses petites protégées. “On va devoir investir dans des groupes froids, pour baisser la température de l’eau”. Or ces solutions ont un coût. J’arrive précisément le jour où Jean-Paul est en train d’évacuer les huîtres qu’ils n’ont pas pu sauver.



Le réchauffement climatique rebat les cartes pour les ostréiculteurs qui constatent que les étapes d’élevage des huîtres sont bousculées, et ce particulièrement depuis 2019. “Autant avant on avait des choses calées, on savait que les huîtres allaient être laiteuses à partir du 25 juin jusqu’au 14 juillet, puis elles délaitaient [libèrent une laitance blanche, visible quand on les ouvre] et on pouvait avoir des huîtres tranquillement jusqu’à la fin de l’été. Cette année, c’est différent, je ne sais pas exactement quand elles vont délaiter. Nos repères ne sont plus les mêmes”.



Il n'y a pas que les changements climatiques qui changent la donne. Les bouleversements sociaux ont aussi un impact. À la Belle d’Ilur, avec deux employés à plein temps, ce sont 600 kilos par semaine doivent être préparés et vendus pour que le chantier soit à l’équilibre, m’explique Nolwenn, avec des pics occasionnels, à Noël notamment. “Il y a quelques années, il y avait moins d’ostréiculteurs, et même si les prix de vente étaient inférieurs, ils produisaient des volumes plus importants qu’aujourd’hui et dégagaient une marge suffisante sur les marchés pour ne pas à avoir à organiser d’activités supplémentaires, comme la dégustation”. Nolwenn m’explique en effet que les habitudes de consommation ont changé. Selon elle, on oublie aujourd’hui que l’huître est une source formidable de vitamine D. “Moi je vends mes douze grosses huîtres au prix de 12€, et je peux te dire qu’une fois que tu en as mangé deux, tu as ta dose de protéines et de vitamines pour la journée !”.



En tout cas, leur chantier a aujourd’hui fière allure, à l’image de l’amour et la passion qu’ils vouent à leurs petites huîtres. Un beau bâtiment dont Nolwenn a elle-même conçu les plans, sert à l’exploitation ostréicole. C’est ici que les huîtres, une fois sorties de l’eau, sont lavées, calibrées, triées et mises en poches si encore trop jeunes pour être vendues, ou emballées, préparées pour être vendues sur les marchés. Et puis, en parallèle, Nolwenn et Jean-Paul ont développé depuis peu une activité de dégustation qui fonctionne plutôt bien. Au bord de l’eau, proche d’une cale de mise à l’eau, une tonnelle et quelques tables et chaises font office d’espace de dégustation lors des mois d’été durant lesquels la vente d’huître sur les marchés ne permet pas de dégager une marge suffisante. Un bâtiment en bois sert de cuisine d’appoint (puisque les chantiers n’ont pas le droit actuellement de faire de la restauration à proprement parler), de lieu de vente et de dégustation pour accueillir les badauds, l’hiver notamment. C’est là qu’elle imagine des recettes hyper originales pour accommoder ses huîtres (huître au caramel beurre salé, kebab d’huître…).



Nolwenn est une hyperactive. Le jour où je viens à sa rencontre, elle vient tout juste de recevoir les premiers pots de rillettes d’huîtres au curry et aux algues qu’elle a imaginées en collaboration avec son amie Stéphanie, de l’Atelier de l’Épicerie. Fabriquées par les petites mains des Compagnons du Devoir à partir des grosses huîtres qui peinent à trouver des acheteurs sur les marchés, ces rillettes illustrent bien l’énergie que Nolwenn consacre à son métier, et l’ardeur qu’elle déploie à mettre en forme ses idées, ses valeurs. Et ce n’est pas la rétivité de ses homologues, en immense majorité masculins, qui rechignent à joindre leur force à ce projet, qui va l’arrêter en si bon chemin. Nolwenn fait un rapide calcul : “10 kilos de grosses huîtres, que je leur rachèterais à 1€, pourraient donner 1 kilo de chair et donc 20 pots de rillettes. S’ils acceptent les marges que je propose, on pourrait vendre le kilo de grosses huîtres à 4,50€ alors qu’aujourd’hui ils nous est acheté à 50 centimes !”.



Des idées, elle en a ! Un de ses prochains projets est d’utiliser une partie des marges obtenues avec la vente de ces rillettes pour la création d’un bateau solidaire basé dans le golfe du Morbihan, qui accueillerait des femmes en situation de détresse au sein de leur foyer (violences conjugales, harcèlement, etc.), et les accompagnerait, sur un temps plus ou moins long en fonction de chacune, pour se reconstruire. “Je veux permettre à des femmes de partir en mer et de revenir en guerrières”. Pour avancer, il lui faut à présent déterminer le format juridique de son projet, trouver des financements complémentaires, des bonnes volontés prêtes à s’investir. L’autre partie des marges obtenues sur la vente des rillettes servirait à créer un fonds de solidarité environnemental pour les ostréiculteurs qui permettrait de financer des équipements écologiques, comme des camions à hydrogène ou des sources d’énergie renouvelable. “Aujourd’hui je me dis que certes on doit vivre de notre activité, mais on doit aussi arrêter de saloper la planète”.


Nolwenn a des étoiles dans les yeux quand elle parle de ses projets : “Si on vit sans utopie, sans rêve, on ne fait rien. Ce sont nos rêves qui nous font avancer”.








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