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L'argile de Soraïa, invitation au voyage et au festin

Soraïa de Sousa est une céramiste rennaise qui collabore régulièrement avec des chef.fe.s et des stylistes culinaires. Ses créations, dans les teintes naturelles et pastel, sont une invitation au voyage, dans l’arrière-pays portugais, bercées par un vert d’eau qui rappelle les vignes, un doux terracotta, un jaune soleil de fin d’après-midi, ou un rose orangé qui n’est pas sans imiter celui de la peau dorée. Assise sur son tabouret, à côté de son bureau où traînent de nombreux post-its sur lesquels elle inscrit toutes ses idées, elle me reçoit, à la faveur d’un après-midi de juin ensoleillé, pour discuter parcours, inspirations, argile, contenants et... contenus !


Crédit photos © : Ventre Archives




“Je suis portugaise, de Lisbonne, j’ai 34 ans. J’ai aussi des origines du Cap-Vert. Je suis arrivée en France à l’âge de cinq ans, en région parisienne. Mes parents ont quitté le Portugal, qui connaissait alors une importante crise économique, pour venir trouver du travail en France. J’ai de bons souvenirs du Portugal. On jouait dehors, pieds nus, il faisait beau la plupart du temps. Je me souviens aussi de ma mère qui m’apprenait à façonner des objets avec de la pâte à sel, c’était sa manière à elle de m’initier à l’art”.



Et l’art, Soraïa l’a dans la peau. “Depuis toute petite je suis attirée par les arts. J’ai fait du solfège, de la danse contemporaine. Puis, j’ai suivi des études littéraires et théâtrales. Mais j’ai décidé de tout arrêter. J’ai fait ma petite crise. Je voulais avoir mon indépendance, quitter la maison de mes parents”. Elle hésite quelques temps, devient assistante de direction pour une conciergerie privée. Mais elle ressent un manque, un vide créatif qui l’incite à aller pousser la porte d’un atelier de céramique parisien, l’atelier Mire. “J’avais des cours de trois heures et demi une fois par semaine. On nous apprenait à tourner. J’ai vite appris. Et un jour je me suis dit : ‘pourquoi pas moi ?’. Je me suis lancée. A 24 ans, j’ai fait ma demande pour intégrer une école de céramique pour réaliser une formation diplômante. Je me suis retrouvée avec plein de personnes en reconversion, et aussi des personnes parfois âgées, retraitées. Et je ne regrette pas ! Ce qui est sympa avec la céramique, c’est qu’on peut transmettre nos idées, nos émotions, via les formes, les couleurs, les matières. A 25 ans je me suis retrouvée diplômée d’un CAP céramique tournage".



“En 2015, mon compagnon et moi avons commencé à réflechir à la suite. Nous avions envie de quitter Paris. Mon compagnon avait envie de se lancer dans une affaire dans la restauration, à Rennes. C’est ainsi que nous avons atterri ici, tous les deux. Je souhaitais travailler à mon compte, et le fait de déménager à Rennes m’a permis d’accéder à ce souhait plus rapidement, car les loyers sont ici moins chers qu’à Paris”. C’est ainsi qu’elle s’installe rue Saint-Georges, dans sa première boutique dans laquelle elle sélectionne et met en avant les pièces d’autres artisans, céramistes, bijoutiers et créateurs de mode.



Il y a deux ans, en 2018, elle décide d’avoir enfin son propre atelier. Elle opte pour un atelier-boutique situé rue du Chapitre, une des petites rues pavées du centre historique de Rennes. Celui-ci porte le nom de "Bianina", qui est le surnom de sa grand-mère. Lorsque je m’y rends, le soleil passe à travers les baies vitrées, mettant joliment en exergue les créations colorées de Soraïa. Elle s’y sent bien, elle partage son temps entre la partie créative - tournage, façonnage, cuisson des pièces - et la partie vente, dans sa jolie boutique dont l’intérieur, tout en bois, donne forcément envie d’y passer une tête. Pour l’instant, Soraïa ne donne pas de cours de céramique, comme la plupart de ses homologues. Son envie ? Développer “sa patte”, son univers à elle. Continuer à imaginer ses pièces uniques, dont certaines sont déjà exposées en vitrine, moitié objet utilitaires moitié oeuvre d’art, comme ces cache-pots à boucles d’oreilles qui me font sacrément de l’oeil. “Et puis, j’aime bien travailler seule, la solitude me rend créative”.



Soraïa puisse son inspiration dans tout ce qui l’entoure, et notamment dans son environnement urbain, esthétique et architectural. Les matières, les formes et les couleurs lui viennent instinctivement, comme si elle donnait corps, via l’argile, le grès, aux sensations que son enfance au soleil lui a laissées. D’ailleurs, son Portugal natal et ses origines capverdiennes ne sont jamais très loin. Ses collections portent de doux noms oniriques qui nous y font voyager : “Saudade”, “Stella”, ou “Korasol”. “Et puis, tout dépend aussi de mon humeur ! ” me dit-elle en riant.



Et la cuisine dans tout ça ? Lorsque je lui pose la question, Soraïa a les yeux qui pétillent rien qu’à l’évocation des restaurants dans lesquels elle a l’habitude d’aller. “La nourriture, ça me parle. J’ai mes bonnes adresses, et je suis très attentive à la qualité de ce que je mange. C’est aussi pour ça que j’essaie aujourd’hui de me diriger vers des pièces de plus en plus organiques, plus intuitives”, à l’image de ses petits bols blancs qui ressemblent à des coquilles d’oeuf cassées. Son restaurant préféré à Rennes ? “Alors pour moi, vrai coup de foudre pour La Petite Ourse. C’est très fin, c’est simplé, épuré, et il y a un sacré travail de recherche derrière chaque plat, ils mettent bien en valeur les produits. Et je suis très sensible à la présentation de leurs plats”. Soraïa aime aussi la street-food méditerranéenne. C’est d’ailleurs pourquoi elle est devenue très amie avec les gérants de Debriñ, situé dans la rue de son ancienne boutique, restaurant qui emprunte librement aux codes de la street-food.



Ses pièces ont tout d’abord été repérées par des stylistes culinaires qui piochent dans ses créations lors de shootings de recettes de chef.fe.s pour des magazines art de vivre et cuisine (comme Juan Arbelaez ou Beatriz Gonzalez). Puis, petit à petit, des restaurants rennais ont commencé à la solliciter pour la créations de gammes de vaisselle uniques, comme le Wok (néo-bistrot thaï) et ses tasses à expresso.



Si elle aime être seule pour créer, au quotidien, Soraïa n’hésite pourtant pas à élargir ses horizons en allant à la rencontre d’autres disciplines artistiques et artisanales. De sa première expérience de boutique en solo, avenue Saint-Georges, elle a conservé l’envie de tisser des liens avec d’autres créateurs. “J’aime échanger et travailler en collaboration avec d’autres artisans. Au fur et à mesure quand le feeling passe bien, avec certains, on décide parfois de lancer une gamme d’objets en collaboration”. Elle me montre ses cuillères en céramique, dont le manche est en bois, conçu par Nicolas Bodiguel, un artisan qui sévit sous le pseudonyme Penkoad. J’ai l’impression de tenir en main un objet appartenant au musée des Beaux-arts de Rennes, une sorte de silex augmenté.



Je quitte l’atelier de Soraïa avec un saladier blanc en main, une précieuse pièce unique pleine de jolies aspérités. Une belle manière de ramener chez moi un morceau de l’univers solaire et malicieux de Soraïa.




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