“Allez, enfile ton masque, on va aller étiqueter et remplir nos bocaux ! ”. Au menu ce jour-là, au labo des Cru’c : choucroute-gingembre-verveine - bien relevé, bien piquant, tout ce que j’aime, puis chou-thym, couleur pourpre vif.
Crédit photos © : Ventre Archives
Derrière Les Cru’c, il y a un couple, Fanny et Nicolas. Nicolas est un ancien cuisinier. Fanny a fait une carrière dans le développement social. Mais le social, on est encore en plein dedans. En effet, le duo partage les locaux, sans en faire partie, du GAEC Biotaupes (groupement agricole d’exploitation en commun), situé à Vignoc, en Ille-et-Vilaine, et force est de constater dès mon arrivée qu’il s’agit là d’une grande famille. L’ambiance est au rendez-vous, Fanny me le confirme: “Profiter de la dynamique collective d’un GAEC c’est beaucoup plus sympa que d’être isolé dans son activité ”. En effet, autour de la table commune, le midi, on partage les produits des un.e.s et des autres : le pain d’Adeline, les légumes frais de Xavier et les légumes lacto-fermentés de Fanny et Nicolas, mais aussi les pâtes fraîches Quanto Basta, de Maddalena et Giacomo. Parfois, Nicolas sort aussi une bouteille de pétillant de sureau fait maison qu’il réserve spécialement pour la ferme.
Direction le labo, partagé avec Quanto Basta depuis début 2019. Fanny me montre comment régler la machine à étiqueter, et c’est parti pour l’étiquetage de plus d’une centaine de bocaux. C'est ici qu'elle commence à évoquer les origines de leur projet et la manière dont ils sont venus à vouloir jouer avec la magie de la fermentation. Tous deux bons vivants, Fanny et Nicolas ont décidé de quitter leurs postes respectifs pour se lancer dans une activité agricole commune. Après une formation de quelques mois au CIVAM (Centres d'initiatives pour valoriser l'agriculture et le milieu rural) de Bretagne, et plusieurs stages au sein de structures agricoles (notamment un passage chez l’atelier de fermentation canadien Tout cru) le couple s’interroge sur la suite. Au début attirés par l’idée d’ouvrir une ferme auberge, ils décident finalement de se tourner vers une activité de transformation. La lacto-fermentation retient leur attention pour ses avantages écologiques, puisque c’est une activité qui ne consomme quasiment aucune énergie - hormis un peu d’huile de coude et de la patience -, mais aussi pour les saveurs qu’elle permet de redécouvrir. “Il faut bien avouer que tout ce qui est fermenté est un peu addictif ” me dit ainsi Fanny.
La lacto-fermentation est un procédé de conservation très ancien (notamment utilisé pour la choucroute ou les cornichons) qui consiste à laisser macérer des aliments avec du sel ou bien à les plonger dans une saumure (mélange d’eau et de sel), le tout dans un environnement sans air. Fanny et Nicolas, eux, mélangent des légumes crus tout juste récoltés et taillés avec un peu de sel, puis pressent les légumes en dessous du niveau de leur jus. Le mélange fermente ensuite pendant trois semaines, avant d'être stockés dans de grands seaux en chambre froide. Les seaux sont fermés, sans air pour que se développe l’activité microbienne grâce aux bactéries lactiques. Celles-ci génèrent la fermentation, notamment via la sécrétion d’autres enzymes qui inhibent la putréfaction des aliments. Au moment où la teneur en acide lactique atteint un certain stade, la fermentation s’arrête, et les légumes saumurés peuvent être mis en bocaux pour être conservés plusieurs mois. Sans stérilisation, les bocaux des Cru’c affichent une Date de durabilité minimale (DDM, date au delà de laquelle les qualités organoleptiques du produit ne sont plus garanties sans que cela ne crée de risque pour la santé) de deux mois environ si le produit n’est pas gardé au frais.
À ce stade, Fanny m’explique que la durée choisie de fermentation dans les seaux, en chambre froide, peut totalement influencer le goût des préparations finales. De même, les produits utilisés, selon leur date de récolte, leur variété ou la façon dont ils ont été cultivés, peuvent faire évoluer le goût de la recette, même s’il s’agit des mêmes dosages. Le but de leurs recettes ? “On a cherché à mettre en avant ces goûts qu’on avait un peu oubliés” explique t-elle. Lorsque Nicolas me tend une fourchette et me laisse goûter aux différentes recettes, un fil rouge m'apparaît nettement à mes yeux, c'est le goût acidulé et très frais qui réveille mon palais. Pour la recette que nous mettons en bocaux (choucroute-gingembre-verveine), le côté piquant du gingembre vient tout d’abord relever l’enrobant de la choucroute, mais après quelques secondes, c’est la verveine, au goût légèrement citronné, qui me reste en bouche. Un délice. Je comprends alors toute la magie qui devait opérer lorsque nos anciens ouvraient des bocaux préparés par leurs soins quelques mois auparavant. D’autant que les associations de saveurs imaginées par Fanny et Nicolas pétillent d’originalité : aux deux recettes mentionnées plus tôt s’ajoutent le mélange choucroute-pomme-aneth, le curtido (chou et carottes marinés, à la salvadorienne), mais aussi le kimchi, produit star des Cru’c, littéralement dévalisé sur les marchés et en rayons (pour l’avoir goûté, je vous assure que c’est une bombe !). Nicolas m’explique ensuite que les recettes proposées sur le marché respectent le rythme des saisons. Dans les premiers mois de l’hiver, par exemple, ils lancent la fermentation de légumes racines pendant qu’ils écoulent les bocaux de légumes d’automne. Vous vous demandez comment accommoder ces recettes à la maison ? “Sur les salades, réchauffées avec une poêlée de légumes, sur des tartines à l’apéro, ou tout simplement en accompagnement de riz blanc” détaille Nicolas.
Si les préparations lacto-fermentées sont très riches en goût, dans mon imaginaire elles sont aussi bonnes pour la santé, puisque pleines de bonnes bactéries qui dynamisent notre flore intestinale. Je lance donc Fanny sur le sujet. Celle-ci m’explique alors que Les Cru’c font partie d’une expérimentation d’une durée de deux ans dans le Grand Ouest, menée par l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) de Bretagne-Normandie en partenariat avec les régions Bretagne et Pays de la Loire, pour améliorer la base de connaissances disponibles sur les produits lacto-fermentés et leurs propriétés nutritives. Affaire à suivre, donc. En tout cas, cela ne peut pas faire de mal, surtout si les produits d’origine sont sourcés !
C’est donc l’occasion de demander à Fanny d’où viennent les produits, légumes, épices, aromates utilisés dans leurs différentes recettes. Un peu plus 50% des légumes viennent des champs du maraîcher du GAEC Biotaupes (“Nous sommes dans de l’ultra-local” me prévient Nicolas à mon arrivée), le reste provient de maraîchers autour de Rennes. Pour les épices, aromates (thym, laurier, aneth, etc.) et pour le gingembre, ils se fournissent dans une coopérative bio. À terme, ils souhaiteraient produire la quasi totalité de leur matière première utilisée, en créant notamment leurs propres plantations d’herbes aromatiques.
Et les débouchés ? Les Cru’c vendent leurs huit recettes “étiquetées” et environ six recettes non étiquetées, en vrac, sur les marchés principalement, mais également dans plusieurs épiceries et coopératives bio bretonnes. La vente en ligne fait également partie de leurs pistes de travail, à la fois en accroissant le nombre de revendeurs mais également pourquoi pas en développant leur propre e-shop. Avant le confinement annoncé en mars 2020, ils collaboraient aussi avec le bar La rennes du bal, à Rennes, qui proposait des planches apéro faisant la part belle à leurs produits. Le couple espère pouvoir développer davantage ce type de collaborations à l’avenir, car c’est aussi un moyen de faire gagner leur marque en visibilité auprès de clients qui ne se fournissent pas forcément en épiceries bio.
La question des débouchés est tout de même importante pour Les Cru’c car la marque s’est positionnée sur un produit encore peu connu du consommateur lambda et qui doit donc "faire ses preuves”. Nicolas prend l’exemple d’une consoeur localisée à Bordeaux qui souhaitait, au lancement de son activité de légumes fermentés, cantonner sa distribution à la région Aquitaine, et qui a dû, faute de débouchés suffisants, élargir sa zone de chalandise jusqu’à l’Est de la France.
Pour la suite, Nicolas et Fanny souhaitent également développer de nouvelles recettes. Nicolas m’explique en effet qu’ils vont tester le tempeh (fèves de soja fermentées), à leur sauce, car c’est un produit de niche encore peu proposé en Bretagne. Leur kimchi a déjà conquis mon coeur, j’ai déjà hâte de goûter à cette nouvelle recette ! En attendant, je repars avec mon petit pot de butternut mariné sous le bras, le goût en bouche de la brioche au levain tout juste sortie du four qu’Adeline, la boulangère, vient de nous faire déguster et… une autre discussion, non planifiée, avec Giacomo et Magdalena (Quanto Basta), qui m’ont fait saliver avec leurs pâtes fraîches aux couleurs dorées et jaune safran ! (Discussion à retrouver dans un autre article, très bientôt).
Où retrouver Les Cru’c :
- Marché Sainte-Thérèse, Rennes : le mercredi, de 8h00 à 13h00 - Marché bio du Mail François Mitterrand, Rennes : le mercredi, de 15h00 à 19h45
- Marché des Lices, Rennes : le samedi, de 8h à 13h30
- Ferme Les jardins du Châtaignier, à Corps Nuds - Epicerie Un café des possibles, à Guipel - Epicerie du Guibra, à Saint-Sulpice-la-Fôret - Ferme les Petits Chapelais, à Chavagne - Boutique TiGrains, à Rennes
- Magasin Naturalia, quartier Saint-Hélier, Rennes
- Au dépôt Merci Babeth, à Rennes, le jeudi à 17h
- Au dépôt Merci Thérèse, à Rennes, le jeudi à 18h
- En ligne : Le clic des champs
- Et directement au GAEC, à Vignoc, dans les paniers à commander et à récupérer le mardi de 17 h : paniers.biotaupes@gmail.com
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