Maryline Péron et son mari Philippe tiennent dans leurs mains un précieux héritage : une ferme de maraîchage exploitée depuis six générations. Mais aujourd'hui Maryline travaille la terre à sa manière, en respectant le plus possible les sols qu'elle exploite et en instillant de la poésie dans son quotidien. Comme pour mieux rendre à la nature l'attention qu'elle mérite. Rencontre avec une épicurienne terrestre, au sens propre du terme.
Crédit photos © : Ventre Archives
Maryline me donne rendez-vous au marché de Pont-L’Abbé, un jeudi vers 9h. Je l’y retrouve, devant un étal au dos de son camion toutes portes ouvertes, accompagnée de Philippe, son compagnon. À vendre ce jour-là sur l’étal de Maryline et Philippe, des courgettes, des radis, de belles grosses salades d’un joli vert, pas fluo pour un sou non, mais un vert naturel de ceux qui sont nés aux confluents de la terre, du vent et du soleil. La queue est déjà pleine, les gens du coin connaissent bien ce couple de maraîchers. L’étal n’est pas mirobolant, comme peuvent l’être ceux de certains voisins. Mais il est authentique, à l’image du couple qui le tient : ce ne sont que des produits de saison, de pleine terre, cultivés avec patience et amour. Et ça, tout le monde l’a bien compris, même si Maryline et Philippe ont décidé de ne plus donner de sacs plastique au marché et que cela peut en dérouter certains.
“J’ai encore quelques courgettes à cueillir, on laisse Philippe terminer le marché et nous on se retrouve à la ferme ?”, aussitôt dit, aussitôt fait. Me voilà arrivée à la Ferme de Keraugant, située à Loctudy, un peu plus à l’Ouest de Pont-L’Abbé. Maryline Péron tient dans ses mains un héritage qui a traversé six générations. La ferme a été créée par l’un de ses aïeux ancêtres, et c’est elle qui, il y a quelques années, en a hérité de son père, Jean-François, maintenant à la retraite, qui se joint d’ailleurs à nous pour discuter.
Maryline a passé un bac technologique en agronomie et environnement, à Auray (Morbihan). Elle s’est ensuite orientée vers une formation en gestion et protection des espaces naturels, avec une appétence particulière pour l'ornithologie et l’entomologie. Une fois diplômée, elle ne trouve pas de boulot. Son père lui propose un emploi sur la ferme, ce qu’elle accepte. “Pour moi la question était de savoir si je voulais vraiment faire ce métier. Je suis de la sixième génération sur cette ferme, soit je rompais la chaîne ici, soit je devenais un autre maillon de cet héritage. J’ai senti que j’avais une sorte de responsabilité ”.
Philippe, son mari, travaille à la commune de Loctudy mais souhaite arrêter pour travailler avec Maryline. Les parents de Maryline lui confient donc les rênes de l’exploitation c’est tous les deux qu’ils se lancent fin 2018. Aujourd’hui, la taille de l’exploitation est à peu de chose près la même que celle que son grand-père exploitait et avec son mari, ils continuent à pratiquer la rotation des cultures. À l’époque de son père, les céréales étaient cultivées en alternance avec des pommes de terre.
Mais Maryline a envie d’apposer à la ferme sa touche, bien à elle. Elle commence à développer des aromatiques, et d’autres légumes un peu plus inhabituels pour la ferme familiale, comme le butternut ou les épinards. “Je trouvais que c’était important de casser la routine en faisant d’autres légumes un peu moins classiques dans notre ferme. Pour nous, en termes de travail au quotidien, mais aussi pour les clients, pour qu’ils aient envie de revenir nous voir au marché, qu’ils ne se lassent pas”.
D’ailleurs, pour ne pas se lasser, Maryline met de la poésie dans tout ce qu’elle fait. “Changer régulièrement les gammes de légumes et de fruits, c’est mes petites ‘collections capsule’ à moi ! Ça me permet de mettre un peu de bonne humeur dans le travail”. Elle s’arrête souvent pour regarder la nature qui vit autour d’elle, les abeilles qui butinent dans ses champs en fleurs, des oiseaux qui volètent et font la course au-dessus de ses cultures. Elle prend un cliché, ou pas, et remet le nez et les mains dans la terre. Sur son compte Instagram - chose rare mais qui commence à faire son chemin parmi les agriculteurs qui y voient une manière de parler de leur histoire et de leur quotidien - elle raconte ses humeurs, ses projets, elle montre les bourgeons, les premières fleurs, les premiers fruits. Et ça donne envie !
C’est aussi cet amour de la nature qui la pousse de plus en plus à vouloir utiliser des engrais verts, plus naturels, bien qu’elle et son mari n’utilisent des engrais ou pesticides que très très occasionnellement (par exemple pour sauver en dernier recours une plantation de pommes de terre). Elle souhaiterait que leur ferme puisse être complètement autonome en termes d’amendement des sols. Elle aimerait ainsi revenir à l’épandage - que pratiquait déjà son père - du goémon, mélange d'algues brunes, rouges ou vertes très présent sur les côtes bretonnes. C’est un travail lourd, elle en est consciente. Il faut prendre le temps d’aller récolter le goémon sur la plage, puis de le mélanger à d’autres composants naturels. Son statut de jeune agricultrice lui a permis d’obtenir un prêt. Elle s’en sert aujourd’hui pour acheter les équipements nécessaires pour fabriquer ce fertilisant naturel.
Quand nous évoquons ensemble l’opposition entre l’agriculture bio et l’agriculture intensive, Maryline explique avec clarté et bon sens qu’il est difficile aujourd’hui d’envisager nourrir toute la population avec des tomates bio au prix bien souvent rédhibitoire. Ses produits à elle sont naturels, parfois bio, parfois non. Ils proviennent de semences bio ou de semences qu’ils conçoivent tous deux. Les courgettes, radis et salades qu’elle me donne en partant, et dont je me régale pendant plusieurs jours suite à notre rencontre, sont la preuve qu’on peut faire de bons produits, sains, respectueux de leur écosystème, sans qu’ils ne soient labellisés bio.
“L’idée, c’est d’y aller étape par étape. Je prends mon temps, mais j’arrive souvent à mon but”. Maryline ne force pas les choses, elle s’adapte au rythme naturel des choses, de la vie, du vivant. Mais c’est une battante. Elle se présente cette année aux municipales, avec des idées plein la tête, des envies de faire bouger les lignes.
À son échelle, en attendant, sa tête fourmille de projets pour faire vivre la ferme, la rendre plus accessible, plus transparente, plus festive. Pendant le confinement, Philippe et elle ont joué le rôle de dépôt pour d’autres producteurs. Sacré travail mais qui en valait la peine car ils se sont rapprochés de certains clients, et cela leur a donné des idées pour la suite. Il y a quelques temps, ils ont organisé une dégustation de vins, d’une amie vigneronne, dans l’entrepôt vitré à l’entrée de la ferme. Quelques bougies, des nappes sur les tables en bois, de bons produits, des discussions, des rencontres, un bon moment qu’ils aimeraient réitérer en concoctant quelques ateliers et rendez-vous gourmands. Cet entrepôt a quelque chose de magique, de rassurant. Lieu de stockage hyper lumineux et spacieux, il semble garder la mémoire des générations qui se suivent dans cette ferme : posé là, un écriteau “ICI, PAYS = LOCTUDY. Je suis de Loctudy, ma production aussi. Péron Jean-François” utilisé sur les marchés, un jeu de fléchettes auquel jouent les enfants de Maryline et Philippe, des courges qui attendent d’être cuisinées, un coeur tracé au doigt dans la poussière sur la vitre. Sans perdre de leur lucidité (“Du printemps à l’automne on travaille jusque tard le soir, il est difficile de se dégager du temps pour organiser ce genre d’événements” explique Philippe), on sent que le couple a à coeur de créer du lien, de rassembler autour d’une même passion, la nature, la bonne chère.
Maryline m’emmène voir le poulailler où gambadent de belles poules qui ont fière allure, des poules de Hambourg, des coucous de Rennes, des poules rousses et des poules Soie. Puis, nous nous arrêtons un moment dans la serre où elle bichonne ses semis, un oasis chaleureux où de fines gouttes d’eau perlent sur les jeunes feuilles tout juste arrosées. On croise Jean-François, le père de Maryline, juché sur son tracteur à épandage, en direction des champs pour aller non pas répandre des pesticides mais arroser les cultures en ce mois de mai particulièrement chaud. On passe aussi voir la douzaine de ruches dont Maryline et Philippe s’occupent et qui produisent chaque année un miel brun et liquide délicieux, avant de se diriger vers une parcelle en jachère, de l’autre côté de la ferme, où poussent une multitude de fleurs et qui fait la fierté de Maryline, cette amoureuse des jolies petites choses. Et elle a de quoi ! Son champs est une belle vague orange, de la même couleur du ciel qui accompagne parfois ses baignades en solo, en fin d’après-midi quand l’envie lui prend d’aller se dégourdir les jambes dans l’eau.
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